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27 juin 2016 1 27 /06 /juin /2016 21:00

Bénégui MargueryLe site de l'auteur.

 

"Au petit Marguery"? Pour Google, c'est avant tout un film. Pour le touriste en balade à Paris, c'est deux restaurants, l'un dans le treizième arrondissement, l'autre dans le dix-septième. Et pour le lecteur de Laurent Bénégui, c'est un peu tout ça, sans l'être vraiment. Mais qu'on se rassure: lire "Au petit Marguery" est un délice. Structuré comme un menu, ce roman réussit le grand écart entre la description de la bonne chère et celle, ô combien tortueuse, des relations humaines. Paru une première fois chez Bernard Barrault en 1991, ce roman a été réédité par Julliard en 2009.

 

Pour mémoire, voici l'histoire: Barnabé Iroulégui, chef réputé, invite ses proches à un ultime repas dans son restaurant, "Au petit Marguery", qu'il tient avec sa femme (en salle) et sa brigade: celui-ci va fermer, en raison d'un ennui de santé majeur. La succession des plats crée un contrepoint à la description des relations entre personnages, amicales, conflictuelles, familiales, voire de voisinage.

 

La première partie, "Amuse-gueule", joue à la perfection son rôle d'exposition. Les personnages sont en place, dessinés de façon plus ou moins nette, ce qui éveille la curiosité du lecteur à la manière d'un éveil du palais - pour reprendre les mots de Marc Lecroisey, chef de la belle "La Table des Lys" à Saint-Etienne. En contrepoint aux nombreux départs d'intrigues, l'auteur souligne la sensualité de la cuisine, en magnifiant la préparation d'un magret de canard et la découpe des oignons, présentées en très gros plan. Miam!

 

Relations humaines? Il y a les gens mariés, les proches, les surprises... à l'instar de l'enfant que porte l'exubérante Bimtou. Il y a aussi le voisin, Agamemnon, qui a son histoire et devra quitter son logis du sixième étage. Le fils Iroulégui, Barnabé, est là aussi, écrivain qui peine parfois à se mettre au travail et semble le double romanesque de l'auteur, ne serait-ce que du fait de la rime Bénégui/Iroulégui. L'auteur ne manque pas, ici, de dessiner ce qu'une relation père/fils peut avoir de particulier, surtout pour des personnages menant une vie aussi différente.

 

Cela passe par des souvenirs d'enfance, marqués par la nourriture bien sûr. Il y a cette expédition à Rungis, qui va dissuader Barnabé de devenir chef - le désenchantement est là. Au contraire, il y a aussi les dégustations que le fils fait en cachette, et là, l'auteur donne aux préparations un côté presque sacré: a-t-il le droit de vider un bocal de foie gras? Ou de piquer des bouteilles d'alcool fort pour régaler les copains?

 

Et au moment des fromages, il est impossible de ne pas repenser à la "symphonie des fromages" du "Ventre de Paris" d'Emile Zola. L'auteur a certainement cette séquence en tête. Lyrique, il aborde le sujet sur le ton de la comédie sensuelle, et lui donne de sonores accents de jazz. C'est habile: plutôt que de singer, il revisite. Et ça marche.

 

Comme adultes, on goûte certes les trésors d'un bon restaurant, mais l'auteur prend soin d'inviter le lecteur à prendre du recul, par le biais du personnage de Tatave, un gamin nommé Octave pour l'état civil: celui-ci ne mange pas grand-chose, quand il ne donne pas sa part au chien du maître queux. La bonne table est-elle donc un plaisir d'adultes, voire d'aînés? En voyant Tatave, il est permis de se poser la question. Celle-ci est en tout cas sur la table...

 

Et pour compléter l'intrigue, l'auteur fait vivre quelques tables tierces du restaurant, peuplées par des habitués ou des clients pénibles qui offrent l'occasion de scènes homériques où s'exprime le tempérament sanguin d'un chef décidément haut en couleur, prêt à défendre sa cuisine bec et ongles. Cela, sans oublier le personnel, houspillé et adoré, qui a sa propre histoire - on pense à Mohcène, qui oscille entre Paris et son pays natal, où il fait des gosses... que son épouse doit bien élever seule, en maudissant son mari dont elle est certaine qu'il boit, comme un mauvais musulman qu'il doit être devenu à Paris.

 

Tout se passe dans le cadre d'un restaurant qui va fermer, un soir d'hiver, et l'auteur installe ce qu'il faut de nostalgie pour le dire. Mais il campe aussi une superbe série de personnages hauts en couleur, contrastés tout ce qu'il faut, parfois improbables, idéalement construits pour que de temps en temps, des éclats s'élèvent. Et son écriture, parfois visuelle, volontiers dialoguée, appelle une adaptation au cinéma. Ce qui a été fait en 1995... par Laurent Bénégui lui-même.

 

Laurent Bénégui, Au Petit Marguery, Paris, Julliard, 2009.

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commentaires

A
J'irai bien manger dans ce restaurant....
D
C'est un beau roman, haut en couleur. Mais si le nom du "Petit Marguery" est bien celui d'un établissement parisien, très bon d'ailleurs (je pense à celui du 13e arrondissement), la ressemblance s'arrête là.

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