Défi Premier roman.
"Garance hier" est le premier roman de l'écrivaine Gabrielle Lasco, établie à Mandelieu-La Napoule. Paru pour la première fois en 1989 aux éditions Sedain, réédité vingt ans plus tard aux éditions des Presses du Midi, il s'agit d'un récit de l'apprentissage du désenchantement d'une jeune femme dont l'élan a été freiné net par les études et la vie. Certes traversé de quelques traits de lumière, c'est un roman aux ambiances amères, parfois tragiques. L'auteure y a mis un peu de son existence aussi.
J'ai trouvé cet ouvrage dans une vente de livres d'occasion à Guéret, et c'est cette ville que l'on trouve en ouverture de "Garance hier". L'auteur réalise alors un zoom avant réussi sur la ville. Elle plante ainsi le décor d'un Guéret d'après-guerre, assez semblable à la cité creusoise d'aujourd'hui: le lecteur s'y retrouvera sans peine. Cela, avant de donner à voir les premiers personnages qui animent ce récit, et en particulier Garance, la narratrice - abstraction faite de l'incipit, qui dit l'essentiel sur le monde dans lequel tout va se passer: "En province, nous habitions une succursale de la Banque de France, où mon père, en qualité de Caissier Principal, avait droit à un logement de fonction."
Garance se voit volontiers comme une racine creuse, renvoyant ainsi d'emblée l'image d'une personne perpétuellement en quête de quelque chose pour combler un vide intérieur. L'image est du reste récurrente, jusqu'à se présenter comme une définition du mot "Garance". L'école, les études devraient contribuer à combler ce vide vital, jusqu'à s'y abîmer. La dénonciation du monde des études universitaires pré-Mai 68 s'avère un morceau de bravoure de ce court roman: mandarinat, système de passe-droits (surnommé "le Système"), professeur qui propose la botte à son étudiante, rien n'y manque. Garance se présente ainsi en victime de ce "Système", stoppée net dans ses études de dentiste par un échec définitif.
L'introspection et l'observation psychologique sont les deux moteurs de ce roman. C'est avec finesse, avec des mots simples et en des phrases sans détours (au risque de paraître scolaire parfois), que l'auteure regarde ses personnages et leurs interactions. Les âmes évoluent au fil des pages, pas forcément vers le mieux (la mère de Garance, devenue haineuse, ou le mari de Garance, devenu avide d'argent). Autour de Garance, on retiendra en particulier la figure de sa belle-mère, qui ne l'accepte pas et ne manque jamais une occasion de se montrer viscéralement détestable avec sa belle-fille. Garance encaisse...
En dessinant le suicide de la narratrice au terme de ce qui se présente comme un long désenchantement que le voyage ne permet même plus d'oublier, la fin peut étonner le lecteur. Comme Garance est toujours là pour raconter sa destinée, il lui faut considérer qu'elle en a réchappé, alors que la manière de dire, certes d'une grande pudeur, ne laisse guère de doute quant au caractère fatal de cette ultime péripétie.
La narration est chronologique et sans surprise en cours de route. Le temps n'est pas vraiment marqué, si ce n'est pas l'évocation de quelques noms et événements liés aux époques traversées; une seule date est mentionnée. Il en résulte l'impression que le temps est une sorte de cocon immobile, suspendu, renforcée par la grande rareté des changements relevés dans le centre de Guéret. C'est dans ce cadre, mais aussi du côté de Paris, qu'évolue un récit au goût sombre, entre peines nombreuses et joies rares (il est permis de penser à la destinée de Jeanne dans "Une vie" de Guy de Maupassant, qui préserve cependant un soupçon d'optimisme), fruit d'une observation poussée des âmes et des psychologiques qui se frottent.
Gabrielle Lasco, Garance hier, Cannes, Sedain, 1989/réédition Toulon, Les Presses du Midi, 2009.
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