Lu par Jérôme Cayla, Martine, Mascha Seruoff, Sabine Barbier.
Le site des éditions Quadrature, que je remercie pour l'envoi du recueil.
Roland Barthes fait pas moins de deux incursions dans le recueil de nouvelles "Fragments d'un texto amoureux" de l'auteure française Pascale Pujol, qui fait directement référence au titre d'un ouvrage du critique littéraire et sémiologue français. Deux nouvelles portent en effet sa trace: "Fragments d'un texto amoureux", nouvelle éponyme dont l'ambition est de dépoussiérer, avec le sourire, le discours du critique en y intégrant les moyens les plus modernes de communication, et l'autre, "La Marelle d'Escher", est un jeu de SMS où Roland Barthes est abondamment cité, côtoyant Maurits Cornelis Escher à la manière d'un collage. Un collage baigné d'un certain suspens sentimental...
Mais il n'y a pas que Roland Barthes dans "Fragments d'un texto amoureux", et c'est réjouissant pour le lecteur. Celui-ci découvre en effet une plume habile à camper des mondes variés, avec cependant une constante: mettre en scène des personnages communs, avec leurs espoirs, leurs travers et leurs fêlures. Et quoi de plus naturel, pour un recueil de nouvelles, que de commencer par un texte qui parle de livres? Avec une librairie pour décor, la nouvelle "La Dédicace" est astucieuse, et débouche sur une chute inattendue et bien trouvée.
La sensualité trouve aussi sa place dans ce recueil, avec la nouvelle "Hammams". L'auteure y renouvelle l'esthétique du voile en décrivant les vapeurs du hammam, ce qu'elles masquent et ce qu'elles laissent transparaître. Cela, sans oublier le bonheur que peut procurer l'expérience de ce bain de vapeur: "J'ai toujours aimé les hammams. L'odeur puissante d'eucalyptus, l'air humide et épais, presque ouaté, qui absorbe les sons et ralentit les gestes, la vapeur qui ruissèle doucement sur les murs de mosaïque, et surtout ce silence si étrange, terriblement sensuel, qui accompagne les mouvements et les contours indistincts des autres corps." Tout est là, dans ce début... et le lecteur s'y croit à son tour.
Enfin, l'auteure sait donner à ses personnages des voix qui sonnent juste. L'exemple de la nouvelle "Café crème" est parlant, à ce titre: quelques personnages y prennent successivement la parole, chacune et chacun à sa manière, afin de construire, chacun de son point de vue, toute une histoire qui se déroule dans l'espace restreint d'un bistrot parisien. L'histoire recèle cependant quelques zones d'ombre, volontairement ménagées: si l'auteur se doit de donner un récit cohérent qui répond aux questions essentielles, ce qui est le cas ici, ses personnages peuvent être de petits cachottiers... à l'instar du barman, qui a dû quitter sa région "en urgence", sans qu'on sache trop pourquoi - même si, c'est vrai, on devine des revers peu avouables. Par ailleurs, certaines nouvelles donnent la parole à l'un de ses personnages, qui acquiert dès lors une véritable personnalité à travers sa voix, construite avec finesse à chaque fois.
On pourrait encore parler du personnage de Léonard, qui hante trois nouvelles; on pourrait songer également à "Un autre homme", qui confronte mort et naissance, ou "Un nom de femme", intéressante réflexion sur la notion de patronyme au fil des générations. Le mieux est cependant de découvrir les quatorze nouvelles du petit recueil de nouvelles "Fragments d'un texto amoureux" de Pascale Pujol, à suivre ou par petites doses. Car chaque nouvelle de ce recueil, qu'elle ose l'expérimentation ou joue sur des valeurs littéraires sûres, compose un petit univers en quelques pages.
Pascale Pujol, Fragments d'un texto amoureux, Louvain, Quadrature, 2014.
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