Le site de l'auteur.
Liane de Pougy fait partie de ces courtisanes dont le nom est resté dans les mémoires. Valérie Bonnier a décidé de lui consacrer un livre, "Confidences érotiques d'une courtisane", et même de lui donner la parole. Rédigé sous la forme d'une longue lettre, cet ouvrage pourrait passer pour une autobiographie fictive. L'auteure reconnaît cependant s'être librement inspirée de la vie de Liane de Pougy, recréant certains éléments afin de donner du piquant à son ouvrage.
L'époque n'est guère approfondie dans la narration; tout au plus saura-t-on qu'il y a eu deux guerres mondiales dans la vie de Liane de Pougy, et qu'elles servent d'arrière-plan à certains épisodes. Non - la narration progresse avant tout sur la base des relations humaines. Celles-ci sont dépeintes tantôt d'une manière générale, la narratrice (Liane de Pougy, donc), exposant sans complexe sa vision du monde et sa manière complexe, parfois misandre, de considérer les hommes. C'est que la narratrice est bisexuelle. Elle vit de manière très différente ses premières expériences sexuelles avec une femme (Soeur Evangeline) et avec un homme (son premier mari). Alors que ni l'une ni l'autre de ces expériences n'était souhaitée, désirée, espérée, seule la deuxième est explicitement désignée par le terme de "viol"...
Cela dit, les relations sexuelles sont toujours une occasion d'apprendre - et très vite, le lecteur découvre que Liane de Pougy installe son métier de courtisane dans une dynamique de domination: c'est toujours elle qui perçoit l'étincelle fugace de désir chez l'autre... et l'exploite - quitte à donner une version très concrète, parfois, de l'expression populaire et figurée "tenir quelqu'un par les couilles". Côté bourse d'ailleurs, sans jeu de mots, ses amants devenus fous d'elle enrichissent Liane de Pougy. Dès lors, par moments, il est permis de penser à "Nana" d'Emile Zola - une figure qui apparaît en filigrane dans "Confidences érotiques d'une courtisane".
Si elle transparaît, l'époque le fait là encore par le biais des personnages, réels ou imaginaires. Il y a un côté "presse people" avant l'heure à voir passer, dans les pages de "Confidences érotiques d'une courtisane", les politiciens et célébrités contemporaines de Liane de Pougy (1869-1950). On pense entre autres au fameux Félix Faure et à celle qui fut son amante, Marguerite Steinheil, stricte contemporaine de Liane de Pougy. Côté féminin, le lecteur verra passer aussi Sarah Bernhardt, ainsi que la belle Otéro ou Emilienne d'Alençon.
Enfin, il y a la vie des sens... l'auteure choisit de faire confiance à son imagination pour décrire ce qui se passe sous la couette ou dans le secret des alcôves. Le lecteur percevra une impression de grande diversité et d'inventivité à découvrir les situations mises en scène, en dépit d'une ou deux répétitions et de ficelles convenues, telles que les pratiques sexuelles dépravées d'un clergé catholique supposé être en manque - la question religieuse, abordée de manière volontiers critique, constitue d'ailleurs un fil rouge de "Confidences érotiques d'une courtisane". Cela dit, l'auteure choisit la voie de la description explicite mais délicate, qui émoustille le lecteur en douceur. Cette voie s'intègre d'ailleurs au style général de ce roman en forme de lettre, plutôt soigné voire précieux.
Quant au choix d'un roman en forme de lettre, justement, celui-ci est pleinement assumé par l'auteur, qui y a trouvé le meilleur moyen de donner la parole à son personnage. Du coup, le lecteur a l'impression d'avoir face à lui une personnalité, dans toutes ses dimensions, à cent lieues d'une figurine de papier. Il y a même un gros gros zeste de rouerie dans certaines tournures adressées au destinataire, un médecin fictif. Le lecteur, quant à lui (ou elle), éprouvera sur-le-champ les traits de caractère d'une personnalité affirmée, assoiffée d'une liberté que l'époque n'est pas forcément prompte à lui céder.
Valérie Bonnier, Confidences érotiques d'une courtisane, Chaintreaux, France-Empire, 2014.
commenter cet article …