Lu par Aifelle, Ankya, Bruce, Catherine, Cathulu, C. Jeanney, Emma, Flof13, Géraldine, Leiloona, Lili, Liliba, Livravous, Magali Duru, Natiora, Papillon, Philippe Poisson, Steph, Sylire, Yv.
Défi Thrillers et polars.
Le blog de l'auteur.
Il y a du Baudelaire dans les pages de "La commissaire n'aime point les vers" de Georges Flipo. Et du Victor Hugo aussi. Paru en 2010, le premier livre relatant les aventures de "la" commissaire Viviane Lancier s'avère un polar littéraire des plus délicieux, bien calé, vif et drôle à l'occasion, et toujours inventif. Lu par d'innombrables blogueurs, traduit en plus d'une langue étrangère, paru en poche, cet ouvrage a d'ores et déjà connu un succès certain - et mérité.
Pour rappel, le point de départ de l'intrigue est simple: un mystérieux sonnet inédit de Charles Baudelaire sème la mort autour de lui. L'affaire est déclenchée par la mort violente d'un clochard surnommé Victor Hugo, à proximité de l'Académie française.
Jeux de femme et de pouvoir
Evoquons avant tout le personnage principal, Viviane Lancier. Un drôle d'oiseau dans le monde du polar: "la" commissaire règne sur une équipe d'hommes regroupés dans un open space. Connaisseur des jeux de pouvoir, l'auteur isole d'ailleurs Viviane Lancier dans un bureau - un isolement concret qui reflète le relatif isolement de tout cadre. Et il est vrai que parfois, les hommes de "la" commissaire paraissent vivre sur une autre planète que leur supérieure hiérarchique. Quant à Viviane Lancier, c'est sans doute la seule commissaire de l'histoire du polar qui paraît larguée tout au long de l'histoire, et surveille son poids en permanence. Un joli contrepoint à l'action, et une touche d'humanité pour un personnage qu'on sent en permanence soucieux, aussi, d'asseoir son autorité.
L'auteur exploite la situation d'une manière inattendue qui recèle son lot d'autodérision, en faisant de ces hommes, et en particulier de certains d'entre eux, des hommes-objets. Cette objectivation passe en particulier par l'attention portée par Viviane Lancier au physique de ceux-ci, et en particulier d'Augustin Monot, stagiaire et archétype du trobogosse, que "la" commissaire dévore des yeux sans se gêner. On ne verse cependant jamais dans le harcèlement: si les deux personnages se rapprochent sentimentalement, c'est délibéré, de part et d'autre.
En matière de hiérarchie, il est intéressant de noter, enfin, que bon nombre d'éléments, hiérarchiques ou non, endossent une métaphore religieuse: le supérieur de Viviane Lancier est surnommé le Tout-Puissant, par exemple. Et l'on s'en remet parfois à la transcendance pour faire avancer l'enquête. Dans le genre littéraire du roman policier, rares sont les policiers qui feraient appel à un médium pour en savoir plus; l'auteur ose cela, et va jusqu'à rendre une telle péripétie vraisemblable, indispensable même.
Du mordant envers les médias
Les médias jouent, en bloc, un rôle important dans "La commissaire n'aime point les vers". Les allusions à certaines stars et figures du petit écran sont transparentes et prêtent à sourire. De même, l'auteur croque avec mordant les travers de la télévision, en particulier cette habitude qu'ont certains animateurs de couper la parole de leurs invités et, en définitive, de se faire mousser.
La presse papier, en général, a aussi toute sa place dans le récit. Elle exerce toute sa pression sur l'enquête (qui traîne plus d'un mois, c'est long...). Il y a même une journaliste qui se fait larguer, question de conflits d'intérêts mal vécus...
Littéraire et visionnaire
Mais "La commissaire n'aime point les vers" est avant tout un polar littéraire, je l'ai dit. Le lecteur attentif reconnaîtra ainsi la qualité, et aussi la versification soignée juste ce qu'il faut, du pastiche de poème de Charles Baudelaire qui constitue le coeur de l'intrigue; le plus baudelairien des lecteurs y repérera même quelques allusions transparentes.
Le personnage de Victor Hugo est franchement pénétré de l'écrivain, allant jusqu'à loger dans une artère parisienne qui porte son nom. Etonnant, pour un SDF, astucieux de la part de l'auteur, qui cultive ici le paradoxe. Celui-ci balade d'ailleurs ses lecteurs à travers Paris, cité des lettres par excellence, et témoigne, ce faisant, d'une connaissance certaine du terrain. Tout au plus, dois-je avouer que je ne suis pas allé vérifier si les restaurants cités existent vraiment...
En revanche, force est de constater que l'auteur va jusqu'à faire oeuvre de visionnaire: en faisant démarrer son roman policier littéraire dans un McDonald's, il anticipe le fait que cette chaîne de restauration rapide va, quelques années plus tard, offrir des millions livres aux enfants...
Nous sommes donc sans doute en 2013 (les têtes de chapitre en font foi), soit trois ans après la publication de "La commissaire n'aime point les vers". Quelques clins d'oeil entrent en étonnante résonance avec l'actualité récente. D'autres brillent par leur originalité: on trouvera, au fil des pages, des graphologues luttant pour leurs contrats, un producteur de blocs à lécher pour bovins nommé Xavier Baudelaire, des recoins parisiens aux propriétés étonnantes (pas de réseau!), etc. Le tout est habilement construit, avec un grand soin du détail, et compose une intrigue alerte et vivante, à l'issue inattendue.
Georges Flipo, La commissaire n'aime point les vers, Paris, La Table Ronde, 2010.
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