Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
J'éviterai de mentionner qui que ce soit de réel dans ce billet, même si le terme de "wannabe" peut faire penser à quelqu'un qu'on
connaît dans notre entourage - tant il est vrai qu'en France ou ailleurs, tout un chacun cache un manuscrit dans ses tiroirs, reliquat d'adolescence ou fruit de loisirs passés au clavier.
Là, cependant, c'est du sérieux. Sérieux? On pourrait en douter en voyant la couverture de "92 jours", roman ou grosse nouvelle signée Larry Brown, publiée chez Folio et commercialisé au prix
mirobolant de deux euros. D'emblée, je vous préviens: si vous investissez là-dedans, vous êtes gagnant. Parole d'investisseur...
A quel récit avons-nous affaire? Il y a quelque chose de trompeur, de déceptif dans cette histoire. Leon Barlow est un écrivain sans éditeur domicilié quelque part dans le Sud profond des
Etats-Unis, là où les moeurs sont rudes et où la bière est fraîche et descend toute seule. Un détail qui a son importance, puisque Barlow en éponge des litres. Est-ce pour s'inspirer? Est-ce pour
se donner du courage, pour s'offrir une sensation de sécurité? Tout cela à la fois. Larry Brown met dans la bouche de son narrateur tout ce que l'alcoolisme promet, sans forcément tenir, avec un
talent certain - genre "allez, encore une, ça ne fera pas de mal", ou les calculs dérisoires du narrateur, soucieux de savoir si boire une bière alors qu'il est en prison, ça va se voir (l'auteur
parvient à créer les circonstances qui font que c'est possible). Trompeur, le breuvage...
N'y a-t-il que cela de trompeur? Petit rappel: Leon Barlow est donc un wannabe ou, en bon français, un auteur qui recherche désespérément un éditeur pour ses nouvelles. Il vise
essentiellement les revues... et collectionne les lettres de refus. Contrairement à ce qui semble être la règle en France, les lettres qu'il reçoit sont souvent personnalisées et, si elles ne le
sont pas, l'éditeur ou l'agent approché s'en excuse. Dès lors, le lecteur, dans un élan d'empathie justifié, va se demander si Barlow va, enfin, placer une de ses nouvelles. Or,
n'importe qui parmi vous, s'il a tenté d'envoyer ses écrits à Gallimard ou à d'autres, sait qu'il faut plus que le temps d'une lecture de roman pour s'introduire dans la forteresse... je vous
laisse donc deviner la fin, sachant qu'elle est cruellement réaliste.
La lettre de refus personnalisée, ressort du récit, peut également être perçue comme la preuve qu'on a affaire à un narrateur écrivain doté d'un indéniable talent, un talent qui n'a pour
seul défaut que de n'être pas au bon endroit au bon moment. Question de circonstances... Pour l'écrivain, elle est également un piège, dans lequel Leon Barlow va foncer tête baissée en renvoyant
un autre texte à une certaine Betti Deloreo tout en cherchant à s'imaginer à quoi elle ressemble. Va-t-il la convaincre, la séduire même? Est-il lui-même convaincu? Là encore, réalisme cruel.
L'auteur sait également tromper son lecteur en glissant Lynn, une jolie barmaid, dans les pattes de Leon Barlow. Si vous m'avez lu jusqu'ici, vous devinez ce qu'il en adviendra... à savoir
rien du tout, pas même une tentative d'approche.
On peut également évoquer le quotidien de l'écrivain, entre une ex-femme qui le pressure à fond pour obtenir sa pension alimentaire, un certain Monroe qui l'engage pour des travaux de peinture
peu reluisants mais lucratifs qui permettent au narrateur d'avancer, le décès de la fille du narrateur, ou son oncle qui n'hésite pas à vendre deux de ses vaches pour qu'il ait un peu d'argent
devant lui. Sous la plume de l'écrivain, cependant, tout cela prend un tour presque anecdotique, l'essentiel étant représenté par les vicissitudes de Leon Barlow écrivain, en tant que tel. Le
rendu est finalement sobre, et donne l'impression d'une action quasi inexistante - peut-être parce que perçue comme telle par le narrateur, ou peut-être, simplement, parce que la vie, c'est comme
ça.
Allez-y, ça ne coûte pas cher et c'est un bon moment.