Si je vous dis que des compositeurs ont écrit de la musique dans les camps de concentration nazis, peut-être vous récrierez-vous: sans
doute n'avaient-ils pas la tête à cela, ou étaient-ils occupés à d'autres activités beaucoup moins agréables. Et pourtant... une dépêche de l'Agence France Presse m'a fait tilt aujourd'hui à ce
sujet. Un Italien Juif nommé Francesco Lotoro est en effet sur la piste des partitions produites par des compositeurs déportés par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale.
Un exemple viendra cependant à l'esprit de pas mal de monde si l'on évoque ces pages de l'Histoire: celle du "Quatuor pour la fin des temps", écrit par Olivier Messiaen au Stalag VIII-A de
Görlitz. Une oeuvre formellement atypique, en particulier du fait de sa distribution: violoncelle, violon, clarinette, piano. La pièce a pourtant été créée au stalag en 1941, et elle est sans
doute la pièce la plus célèbre de ce type de production.
Mais il n'y a pas que ça. Francesco Lotoro
cherche depuis 1991, inlassablement, depuis qu'il a corrigé une partition signée de Gideon Klein, emprisonné à Theresienstadt et décédé au camp de concentration de Fürstengrube en 1945, reçue des
mains de la propre soeur du compositeur. Ce qui a frappé le musicien, c'est la difficulté de l'oeuvre. Un peu de recherche lui a permis de comprendre que les musiciens internés à Theresienstadt
avaient droit à une demi-heure de piano par jour. Pas mal? Insuffisant pour un vrai travail technique. Mais les compositeurs allaient à l'essentiel pendant cette demi-heure, concevant les
partitions dans leur tête, loin des contingences matérielles liées à l'instrument. "Permettre aux musiciens de continuer à travailler était aussi un moyen de mieux les contrôler. Dans le camp
d'Auschwitz, il y avait sept orchestres. Quand j'ai commencé, je pensais retrouver tout au plus quelques centaines d'oeuvres", expose Francesco Lotoro en guise d'explication à la
possibilité laissée aux musiciens de pratiquer leur art.
Depuis, Francesco Lotoro a retrouvé quatre mille partitions écrites dans ces difficiles conditions. L'homme les archive, à l'exemple d'une pièce en cinq actes écrite sur du
papier hygiénique, signée Rudolf Karel, disciple d'Antonín Dvorák, compositeur tchèque bien connu. Il ratisse large, recueillant certes la musique classique, mais aussi des oeuvres légères ou de
variété, européennes ou venant d'horizons plus lointains. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les titres des pièces: on trouve là des sonates, des fugues, des chansons de cabaret, des
cadences destinées aux concertos pour piano de Beethoven, des symphonies, et d'autres choses encore. Le musicologue précise que cette production n'était pas forcément triste: les oeuvres
parlent de foi, de famille, de patrie, etc.
Certain de jouer un "contre la montre" et d'accomplir une forme de devoir de mémoire, Francesco Lotoro sait d'ores et déjà que certaines pièces sont irrémédiablement perdues, soixante ans après
les faits. Son devoir de mémoirei prend peu à peu la forme d'une série de disques, dont six ont déjà paru, sous le label KZ Musik. Une visite du site du label permet de constater que
certains compositeurs ont survécu aux camps, et que d'autres y ont laissé leur vie. L'objectif? Finir le travail en 2012, avec la collaboration d'orchestres si nécessaire.
Source: AFP; photos d'Olivier Messiaen (britannica.com), de Gideon Klein (fondation G. Klein) et de Francesco Lotoro (Tribune de Genève).
Site du projet de M. Lotoro: http://www.kz-musik.de