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5 septembre 2014 5 05 /09 /septembre /2014 19:45

hebergeur imageLu par Clarice Darling, Gilles Pudlowski, Marie-Antoinette,

Défi Rentrée littéraire 2014.

Le blog de l'auteur.

 

Viande, viande... humaine surtout, animale parfois. Avec "La Dévoration", Nicolas d'Estienne d'Orves régale ses lecteurs en leur offrant un roman saignant, carnassier s'il en est. Généreux, écrit de manière friande, il se dévore toutes dents dehors - ce qui n'est que justice.

 

Tout commence par un largage en règle: l'écrivain Nicolas plaque son amie Aurore, un soir où elle lui a préparé un petit dîner romantique. Naturellement, nous ne saurons rien de ce qu'il y a dans l'assiette: ultime attache avant un nouveau départ, la trop évanescente Aurore (on ne saura pas grand-chose d'elle) doit être écartée. Plus intrigant, l'auteur n'indique pas pourquoi Nicolas quitte Aurore. Quelque chose paraît ne pas coller; le lecteur sent d'emblée une affaire à suivre de près. Le largage d'Aurore survient après une soirée à l'opéra. Soirée où "un chef suédois avait massacré une Carmen, qu'il dirigeait comme du beurre fondu.": manger, déjà...

 

challenge rl jeunesseLe thème de la chair arrive de manière brutale avec le récit de Rogis, boucher devenu bourreau par une grâce épiscopale et premier homme d'une longue dynastie de bourreaux. Ce récit constitue une sorte de feuilleton à l'intérieur du roman. Quel lien? Patience, lecteur... mais quelques indices sont présents: l'éditrice de Nicolas lui demande de se dévoiler, et d'arrêter d'écrire des histoires sanguinolentes aux titres explicites ("Le Culte du sang", pour n'en citer qu'un) derrière lesquelles se cache, selon elle, la personnalité de Nicolas. Le sang, de part et d'autre...

 

Dûment documentée, l'évolution du métier de bourreau au travers d'une dynastie exemplaire est un contrepoint captivant et rondement mené, où la cruauté apparaît, brute ou par contraste, page après page. Il y a cette condamnée qui croit voir un ange en voyant le fils du bourreau. Il y a ce bourreau qui, troublé par la beauté de telle autre condamnée, la massacre. Le caractère cru, explicite, de certaines pages a de quoi impressionner, pour le moins.

 

Historique toujours, le récit des tribulations du Japonais cannibale Morimoto, largement inspiré de l'histoire vraie de l'étudiant Sagawa, va encore plus loin dans l'horreur. L'auteur trouve le meilleur moyen de déranger en se mettant dans la peau du cannibale et en montrant toute la sensualité qu'on peut trouver à tuer une collègue d'études, Renée, puis à en déguster les meilleurs morceaux, crus ou cuits, après les avoir découpés comme le ferait un boucher (comme l'ancêtre Rogis, donc): "J'ai ensuite mis une noisette de beurre dans la poêle, allumé le gaz et coupé ton sein gauche. Posant la lame à plat, au ras du corps, je l'ai scié à l'horizontale. La chair était beaucoup plus facile à trancher que la fesse ou la cuisse. Normal, me suis-je dit en retournant le sein dans ma main, il n'y a que de la graisse."

 

L'auteur, enfin, étonne en décrivant le personnage de Sagawa: qui eût cru qu'un tel monstre prenne les traits d'un gars affable et chétif, mesurant 1,55 mètre et pesant 35 kilos? Est-ce bien lui qui ose dire: "Quand je rencontre des femmes, j'ai toujours faim..."? Le lecteur sensible pourrait même trouver un brin de lyrisme dans le verbe de ce personnage.

 

De même que le fait qu'on les retrouve dans un seul livre, quelques échos suggèrent que ces épisodes, si hétéroclites qu'ils soient, finiront par trouver un lien. Celui-ci est habile, de la part de l'auteur, et renvoie directement à un autre élément: Nicolas et la constellation de personnages qui l'entourent, famille ou amis. La métaphore sanguine ou carnée n'est jamais loin: on voit des personnages aux allures de vampires, des bouches sanguinolentes, et il arrive que l'auteur utilise directement le terme de viande pour parler de la chair d'un personnage.

 

"La Dévoration" fait partie de ces romans qui vous prennent à la gorge, aux tripes. Au-delà de son titre aux allures de néologisme brutal, ce livre prend le goût d'une viande sauvage, ou bien rouge, ou faisandée à l'occasion, et va loin dans le traitement de ses sujets - quitte à atteindre les confins de l'insoutenable. La force de l'écriture transcende le côté gore du propos pour donner un ouvrage intelligent et fougueux, au souffle puissant et profond.

 

Nicolas d'Estienne d'Orves, La dévoration, Paris, Albin Michel, 2014.

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