Roman policier, également lu par Au creux des livres, Evilys, Nag, Nuages et vent. Sur l'auteur: Angelita M.
Un roman que j'ai lu en deux tranches et dont je suis enfin arrivé à bout, après des jours et des jours de lecture qui, il faut le dire, m'ont paru interminables. "Mémoire infidèle", opus signé Elizabeth George, pèse bien ses 984 pages, lourdement comptées!
Je me souviens d'avoir noté la référence de cet ouvrage sur la base d'une critique parue dans le magazine "Lire" il y a plusieurs années. Tous les signaux étaient au vert: "Mémoire infidèle" était présenté comme un roman policier supérieur à la moyenne, complexe, mettant en scène, qui plus est, une belle brochette de personnages improbables: un violoniste virtuose soudain incapable de jouer une seule note, quelques vieillards et surtout un charmant jeune homme dénommé Pitchley, alias "Langue de velours", dragouilleur virtuel aux penchants sexuels étranges. On l'a compris: l'auteur a le chic pour créer des personnages à la fois louches et accrocheurs.
Qu'en est-il de l'histoire? Toute l'intrigue se déroule à Londres. Une vieille dame est victime d'un accident de voiture particulièrement crapuleux, puisque non content de rouler sur elle une fois, l'automobiliste qui l'a écrasée repasse dessus deux ou trois fois pour s'assurer qu'elle soit bien morte. L'équipe de l'inspecteur Thomas Lynley mène l'enquête. Elle découvre un sacré guêpier: une Allemande de l'Est, fugitive de son pays, qui a passé vingt ans en prison pour meurtre de bébé, le père tyrannique et patriarcal du violoniste, sa nouvelle copine Jill qui a des objectifs et entend bien les atteindre, quitte à exercer une certaine pression sur son amant chargé d'ans. Sombre affaire, d'autant plus que les meurtres aux apparences accidentelles vont se poursuivre tout au long du roman.
C'est un long livre, je l'ai dit, d'autres lecteurs l'ont constaté. Pour ne rien arranger, l'auteur n'use pas des techniques littéraires, familières des lecteurs de Stephen King ou Dan Brown, qui lui permettraient de faire paraître plus brève et d'alléger une intrigue aux noeuds particulièrement gordiens: subdivision en chapitres courts, voire en sous-chapitres; répartition de ceux-ci en "livres" ou parties. Rien de tout cela! La seule concession est l'alternance, certes créatrice d'un contraste intéressant, que l'auteur crée entre l'avancée de l'enquête du point de vue de la police et des chapitres où le violoniste, Gideon Davies, parle à la première personne. Comme changement de ton, c'est primaire: il y a là une opposition simple entre éléments strictement narratifs, riches en dialogues, et pages introspectives - une introspection dont le cadre est une psychanalyse du violoniste, sincèrement désireux de savoir ce qui a conduit à son incapacité de jouer. Quitte à (re)découvrir de terribles vérités...
... et là aussi, je ne suis pas psychiatre, mais il me paraît quand même peu crédible d'oublier LA scène capitale de ce roman. Un peu de paraphrase est ici nécessaire, ainsi qu'un soupçon de spoiler: c'est bien Gideon Davies qui a tué le bébé... et c'est la nounou est-allemande qui est allée en prison à sa place, pour vingt ans; le père couvre le tout. Personnellement, je ne crois pas qu'un être humain, même un enfant, soit en mesure de simplement refouler un événement aussi important. En revanche, on comprend volontiers que si le père se révèle odieux et menteur en fin de roman, c'est que la charge qu'il a accepté de prendre sur ses épaules (pour ne pas dire sa conscience) est inhumaine.
Rien d'un page-turner, donc! Cela, d'autant plus qu'en début de lecture, il est difficile de faire le lien entre les différents personnages observés (c'est qui, cette Katie Waddington, sexologue obèse, qui se fait écraser en début de récit?) Quant à l'idée de consacrer certains chapitres au discours de Gideon Davies, cela ne peut qu'attirer l'attention sur lui; il est dès lors assez délicat, pour l'auteur, de mettre en oeuvre tout un attirail d'intrigues secondaires bizarres pour détourner l'attention de ce personnage pourtant mis en évidence par la structure du roman elle-même. Difficile, pour le lecteur, d'écarter le regard de ce qui se trouve sous les projecteurs! Alambiquée, non exempte de longueurs, l'histoire est cependant sauvée, quelque peu, par un certain humour, qui se niche dans la description des personnages secondaires ("Langue de velours", amateur de femmes d'âge très mûr, vaut le détour; quant aux policiers, pour s'en faire une idée plus complète, le lecteur est invité à lire les autres romans de l'auteur) et dans certaines images particulièrement choc, telles celle-ci: "Une toison pubienne qui ressemblait à un W.-C. quand on vient de tirer la chasse." (p. 773 - bon appétit!).
Il paraît que d'autres romans mettent en scène Lynley et sa fine équipe... pas sûr que je m'y remette. Sauf si l'auteur promet de faire maigrir ses romans à l'avenir...
Elizabeth George, Mémoire infidèle, Paris, Presses Pocket, 2003.