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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 20:58

Je serais un menteur si je disais que je porte dans mon coeur Eva Joly, candidate d'Europe Ecologie-les Verts à la présidence de la France. Cela dit, l'une de ses interventions de la semaine dernière a tout pour m'interpeller... et curieusement, elle n'a pas fait beaucoup de remous dans la blogosphère. Tout au plus en a-t-il été question dans les rangs de l'UMP - et le semblant de débat qui en est résulté est un peu limite: en effet, la question posée méritait davantage qu'une caricature outrancière. Car c'est bien de langues qu'il s'agit - et de langues de France.

 

nullRappel des faits: face à un parterre de représentants des mouvements indépendantistes et autonomistes de France réunis à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) pour une université d'été, Eva Joly s'est aventurée, samedi 27 août, à promettre de défendre les langues régionales menacées, selon une dépêche publiée dans "Le Point". L'approche de la candidate, partisane d'une Europe des régions, consiste clairement à offrir davantage d'autonomie aux régions qui y aspirent (par exemple la Corse). Eva Joly a par ailleurs critiqué "l'hégémonie" du français en France et suggéré que les écoles devraient être obligées d'offrir, à défaut d'imposer, une formation en langues régionales.

 

Des affirmations qui ont fait bondir le député parisien Bernard Debré, qui s'est fendu d'une lettre en réponse aux positions de la candidate. "Redonner vie aux langues régionales? Quelle idée saugrenue!", interroge-t-il d'emblée, non sans égratigner au passage "Eva-la-Rouge"; il rappelle par ailleurs l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), connue pour instituer la primauté de la langue française en France.

 

Qui a tort, qui a raison? Force est de constater que chacun a quelque chose à amener au débat, et de positif - et que dès lors, entre le "tout au français" et le "tout aux dialectes", il existe un juste milieu à trouver. Facile à faire? Certainement pas. Mais essayons d'ébaucher quelques considérations.

 

Bernard Debré suggère donc, de manière caricaturale, qu'Eva Joly demande le retour de fonctionnaires connaissant une bonne quantité de dialectes de France - quitte à ce qu'un agent de train, par exemple, soit astreint à connaître toutes les parlures usitées sur la ligne où il travaille (p. ex. Paris-Saint-Jean-de-Luz). Il est possible de lui rétorquer qu'une telle exigence n'est pas à l'ordre du jour: tout le monde (y compris la Constitution) est d'accord qu'en France, on parle français! D'un autre côté, on pourra aussi répliquer à Eva Joly qu'il est hors de question de rejeter "l'hégémonie" du français, tant il est vrai que c'est une langue commune bien pratique, autour de laquelle s'est établi un consensus. Par quoi la remplacer? "Par un anglais approximatif", suggère Bernard Debré, poursuivant son exemple du cheminot polyglotte. Force est de constater que dans certains pays, l'anglais pourrait supplanter à terme la langue nationale, qui n'a pas été suffisamment cultivée dans tous les domaines d'activités de ses locuteurs...

 

C'est donc une question de degré plus que d'extrêmes. Eva Joly réclame "la reconnaissance des langues régionales". Elle paraît oublier que celles-ci ont fait leur entrée dans la Constitution française en 2008 (art. 75 al. 1); plus qu'une reconnaissance, il conviendrait donc d'exiger un développement de cette reconnaissance, selon la question suivante: "Quelle forme cette reconnaissance doit-elle prendre?" Cela amène à un sujet qu'Eva Joly devrait goûter, et que le linguiste Louis-Jean Calvet a eu le privilège de nommer avant elle: l'écologie des langues. Une manière d'indiquer que chaque langue a sa place... pourvu qu'elle la trouve.

 

Concrètement, essayons d'imaginer ce que cela peut signifier. Faut-il rendre la justice dans les langues régionales? Sans doute pas, si l'on admet que la langue de la France est le français. Mais est-ce que l'article constitutionnel peut servir de base à une réglementation permettant que l'Etat finance des interprètes pour permettre à des personnes parlant les langues régionales de débattre de leur cause dans leur idiome? Le cas des cheminots, soulevé par Bernard Debré, est certes extrême; mais devra-t-on tenir rigueur à un fonctionnaire de Corse ou de Mayotte s'il s'exprime avec ses voisins dans la langue du cru en sa qualité de fonctionnaire? Certes, il devrait être en mesure de réagir en français en tout temps... mais l'un n'empêche pas l'autre! Et puis, le maire d'une commune de Bretagne doit-il être condamné s'il glisse quelques phrases en breton dans un discours de fête nationale? Une telle réflexion peut par ailleurs aussi mener à définir les contours d'un enseignement des langues régionales. Faut-il aller jusqu'à assurer tout l'enseignement en marquisien, en arpitan (lequel?) ou en alsacien? Ou alors, peut-on ouvrir une brèche permettant un soutien financier (ou autre) à la création littéraire en langues régionales, quitte à encourager l'émergence d'un nouveau félibrige? Y compris les langues d'outre-mer? La simple présence des langues régionales dans la Constitution français responsabilise du reste l'Etat français: d'ores et déjà, il ne peut plus faire comme si celles-ci n'existaient pas, par exemple en les laissant mourir sans réagir.

 

Entre les extrêmes déterminés par Eva Joly et Bernard Debré, il y a donc mille possibilités de "placer le curseur", en faveur du seul français ou d'un morcellement linguistique et régionaliste. Cet entre-deux doit permettre de faire vivre et de valoriser, dans une manière propre, les langues régionales, qui le méritent parce qu'elles sont une richesse, sans pour autant sacrifier les avantages d'une langue, le français, conçue comme un élément non pas hégémonique, comme le prétend Eva Joly, mais bien fédérateur. Ce juste milieu devrait permettre d'écarter le risque d'éclatement de l'unité nationale, tant craint de certains représentants de l'UMP. Car en France, il devrait y avoir de la place pour le français et pour toutes les langues de France.  

 

Source de l'illustration "Tour de Babel".

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commentaires

L
<br /> quant au français de madame Joly, Karl Lagerfeld en a parlé dans une émission du "petit journal"<br /> http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Karl-Lagerfeld-critique-l-accent-d-Eva-Joly-sur-Canal-389015/<br /> <br /> j'ai appris (un peu) le provençal au collège, je le comprends (cela me sert aussi en Occitanie, en Catalogne, grâce aussi au latin, à l'italien et à l'espagnol, langues apprises, mais oubliées), je<br /> comprends, donc, mais ne peux le parler...<br /> (et sur une radio locale FranceBleuProvence, pour ne pas la citer (ben si, je viens de le faire), tous les jours, un linguiste parle du "marseillais" (un peu différent) ou du provençal : je ne<br /> manque pas d'écouter ! et c'est en français !<br /> "à tout bientôt"<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Le français de Mme Joly fait effectivement parler de lui... merci pour le lien vers l'article!<br /> J'ai touché un peu au patois gruérien, essentiellement par le biais des chants appris en chorales. Mais cela ne suffit pas non plus à faire un bagage linguistique vraiment opérationnel. Peut-être<br /> aurais-je dû suivre un cours? Cela existe...<br /> A tout bientôt!<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Etrange ce débat franco-français, d'autant plus pour toi chez qui cohabitent plusieurs langues officielles.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> ... un débat qui me parle pourtant, en tant que ressortissant d'un pays plurilingue: mon travail de mémoire en administration publique m'a amené à m'intéresser aux autres modèles de<br /> gestion des vrais et faux monolinguismes à l'échelle nationale, donc aussi à me poser des questions sur ce qui se passe en France.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Je déteste les langues vivantes.<br /> Dans mon quartier, si on veut garder son entre-soi, on a tendance à parler dans son dialecte. Ce qui n'est pas véritablement une ouverture d'esprit ...<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> ... si le dialecte est utilisé par des locuteurs dans votre quartier, c'est qu'il s'agit bel et bien d'une langue, ou d'un dialecte vivant! Cela, même si ce n'est pas une langue officielle ou<br /> nationale. Quel est votre quartier, si ce n'est pas indiscret?<br /> Quant au repli sur le dialecte, c'est aussi quelque chose que l'on perçoit en Suisse alémanique, où les gens ont tendance à préférer leur dialecte à l'allemand, qui est la langue nationale mais<br /> aussi celle d'un grand voisin avec lequel la Suisse alémanique entretient des rapports complexes. Le dialecte sert dès lors à se distinguer...<br /> Enfin, ouverture d'esprit? Ce serait, à mon avis, de maîtriser à la fois le dialecte et la langue officielle, et d'avoir une bonne délimitation des situations où l'on utilise l'un ou<br /> l'autre.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Par contre (je viens de lire le commentaire d'Euterpe) j'ai toujours pour ma part refusé d'apprendre le patois : depuis toute petite, j'exigeais que devant moi on parle français. De toute façon<br /> comme je ne capte rien, tout le monde est bien obligé de faire un effort.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> De mon côté, j'ai touché un peu au dialecte de Bâle-Campagne - mais dès que ma famille est revenue en Suisse romande pour que j'y fasse mes écoles, je suis passé au français, sans retour.<br /> Phénomène intéressant: si les dialectes alémaniques sont tout à fait vivants et vivaces en Suisse, les patois de Romandie sont morts... ou presque - et tout le monde parle français.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Très intéressante analyse. Mais j'ajouterai qu'en réalité, les langues régionales... n'existent pas ! L'occitan par exemple n'est qu'une reconstitution théorique, et si je m'amusais à parler à mon<br /> grand-père dans cette langue, il ne comprendrait pas un traître mot ou si peu que pas, parce que lui il parle son "patois", qui n'est pas le même que celui du village d'à côté. Les langues<br /> régionales n'ont aucune unité.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Pas faux! En particulier à l'écrit, les dialectes et langues régionales sont des reconstitutions artificielles dans lesquelles peu de monde se reconnaît - cf. le romanche, à l'est de la Suisse.<br /> Après, reste à savoir ce que l'on veut valoriser: un dialecte proche de ceux qui l'emploient au quotidien, ou une recréation écrite, utile par exemple pour la transcription de chants<br /> populaires. Après, la question de l'unité des langues régionales est aussi bien connue en Suisse, où l'on retrouvait autrefois le même phénomène d'un dialecte différent d'un village à l'autre.<br /> Aujourd'hui encore, la Suisse compte une bonne trentaine de dialectes alémaniques identifiés, vivaces à des degrés divers.<br /> <br /> <br /> <br />

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