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9 septembre 2016 5 09 /09 /septembre /2016 20:25

Hirsch OmbresLu par Daniela Carlucci, Yaël, Yv.

Le site de l'éditeur, le site de l'auteur.

 

Sa soif des records est inextinguible. C'est une véritable passion. On tutoie carrément l'hybris. Au coeur de son dernier roman "Nous étions des ombres", Mikaël Hirsch place le personnage de François Sauval, riche bonhomme, désireux de marquer l'histoire de son empreinte. Mais que réaliser encore, à une époque où tout a déjà été accompli? Faut-il se contenter de faire mieux que les mémorables pionniers, dans autant de domaines que possible?

 

Le personnage de François Sauval est tellement immense qu'il vaut la peine de l'admirer avec un peu de distance. C'est pourquoi l'auteur a choisi de faire parler son biographe, un écrivain en rupture de contrat soudain engagé pour relater la geste épique de celui qui fonctionnera comme son maître.

 

Soif des records, vanité et littérature

Sans y toucher, l'oeil de ce biographe du quotidien observe d'un regard critique la vie de celui qui l'a embauché, met en évidence la vanité de ce François Sauval qui, issu du monde de l'informatique, décide, ambitieux, de devenir le bonhomme qui a inscrit le plus de records dans le Livre Guinness des Records. Donnant à voir certains de ces records, il en souligne la vanité. Or, certaines de ces tentatives ressemblent étrangement à des choses qu'on voit aujourd'hui, comme le tour du monde en montgolfière. Bertrand Piccard, sors de ce corps...

 

"La littérature a ceci de commun avec les exploits sportifs que tout a déjà été accompli. Il n'est bon que de refaire, encore et encore...": une phrase tirée du livre, citée en dédicace, suggère que la vaine soif des records de François Sauval a quelque chose à voir avec l'art littéraire, sommé d'innover mais bloqué par ces illustres et pesants pionniers qu'on nomme "les classiques". Lucidité de l'auteur de "Quand nous étions des ombres", qui se sait condamné à n'ajouter qu'un titre à la déferlante des romans publiés de nos jours? Celui-ci aura eu, en tout cas, le mérite et le courage d'aborder avec force et pertinence un thème rare, original.

 

De la banane à l'Histoire, via la culture

Originaux sont également les lieux choisis pour l'action, et en particulier le Honduras, dont l'auteur trace en parallèle une histoire saisissante et critique tendant à montrer un pays constamment mis en coupe réglée par une classe ou un peuple dominant - érigeant la banane en symbole de cette domination, mettant en évidence ce qu'il y a derrière ce fruit savoureux. On relève aussi la relation de la méconnue "Guerre de cent heures", dont le catalyseur a été un match de football. Dans les deux cas, l'auteur fait le grand écart entre des choses sympathiques en apparence et ce qu'il peut y avoir de détestable en coulisse. Cela, sans dramatisation inutile: un peu de distance suffit.

 

Et alors que François Sauval est obsédé par l'idée de laisser sa trace dans l'histoire, l'auteur met en scène, à un tout autre niveau, une vieille dame héritière d'une langue précolombienne en voie de disparition, fleuron d'une peuplade, les Charahuales, dont il ne reste que 97 mots recueillis par un missionnaire et enfermés dans une bibliothèque - terrible réduction, que l'auteur dessine à merveille, évoquant par épisodes la conquête et la domination de l'Amérique centrale par les Espagnols.

 

Ce qui pose la question de la transmission. Sur plusieurs décennies, l'auteur installe une lignée de femmes qui, de mère en fille, vont transmettre le fragile héritage culturel et linguistique des Charahuales. L'auteur sait ménager ici de l'émotion, par exemple lorsque la philologue Cassandra Schwarzer parle dans sa langue à l'ultime personne de cette culture, sur la base d'un lexique lacunaire.

 

Pour quelle jonction?

Mais (et c'est là que se rejoignent les deux récits, apparemment sans lien l'un avec l'autre) François Sauval, devenu dirigeant du bout de terre où vit la dernière des Charahuales, va-t-il s'en préoccuper? Et son biographe? De l'humble indigène sans cesse délogée ou du milliardaire blasé, qui va s'imposer dans l'histoire? Entre la culture millénaire et le fric milliardaire, l'auteur se garde de donner une réponse tranchée (quoique, vu le sort qu'il réserve à François Sauval...), et suggère que le destin, aveugle et absurde, aurait pu en décider autrement: "Il pourrait s'agir d'une parabole caricaturale opposant les gentils Indiens au capitalisme sans coeur, mais tout est simplement régi par le hasard et rien ne venait prédire cette collision de deux trajectoires, celle d'un individu obsédé par la gloire et celle d'un peuple voué à disparaître.".

 

En définitive, c'est bien le narrateur qui va se retrouver avec le double héritage de ces deux trajectoires. Des trajectoires que le roman, genre littéraire impossible à révolutionner mais qu'on peut encore pousser un peu plus loin, vainement, permet de rappeler.

 

Mikaël Hirsch, Quand nous étions des ombres, Paris, Intervalles, 2016.

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commentaires

A
Ça m'a l'air plutôt original et en même temps exigeant, en tout cas, ça m'intrigue ! J'y regarderai de plus près au détour d'une librairie.
D
Cela en vaut la peine - et Mikaël Hirsch est un auteur à suivre. L'éditeur a une librairie à lui dans le 9e arrondissement de Paris (2, rue Bleue), si jamais tu veux avoir le livre "à la source"!
Y
Toujours extra les romans de Mikaël Hirsch, j'ai comme toi l'impression qu'il pousse toujours l'exercice un peu plus loin...
D
Du tout bon, en effet! Comme toujours avec Mikaël Hirsch.

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