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Lu par Achille 49, Antigone, Audrey, Canel, Emeralda, Evasions livresques, Gambadou, Gr3nouille, Heclea, Jostein, Koryfée, La Livrophile, Le Bison, Livr-Esse, Ma Biblio 1988, Mango, Miss Reading, Pampoune, Pierre Parrillo, Testing Girl, Unwalkers, 1001 lectures.
Le site du roman.
Merci à Pauline Sicard et Jean-Sébastien Hongre pour l'envoi.
Des parents dépassés par leurs ados. Une mère devenue aboulique, prisonnière des agissements de son fils et de sa fille. Un père qui vit séparé de tout ce monde mais aimerait bien que cela se passe autrement. Et un accident (mais en est-ce vraiment un?) qui va précipiter les événements, faire monter la colère chez un père qui se contrôle un peu trop, entre autres au travail. Tels sont les ingrédients du deuxième roman de Jean-Sébastien Hongre: "Un père en colère". L'histoire prend - et le talent de l'auteur fait aussi qu'elle prend aux tripes, sur un sujet pour le moins sérieux.
La première grande force de l'auteur de ce roman est de savoir faire jouer les relations et alliances qui peuvent se former entre les quatre personnages de la famille, d'une part, et entre ceux-ci et leur entourage immédiat. Tout le roman est construit sur un jeu mouvant de rapports de force, avec des personnages tantôt alliés, tantôt isolés. Ces rapports de force trouvent parfois une équivalence métaphorique concrète: construire une cloison dans la maison pour que la mère puisse vivre chez elle, n'est-ce pas l'isoler encore davantage? Cela, afin que ses deux rejetons, Léa et Fred, initiateurs de ce projet de mur, puissent poursuivre tranquillement leurs trafics de drogue...
Les deux enfants sont du reste absolument détestables, et l'auteur ne manque pas de le montrer: le trafic de drogue passe avant tout pour eux. Cela dit, il est nécessaire de nuancer et de différencier clairement les deux caractères; ainsi le lecteur sent-il, par exemple, que le père trouvera peut-être, avec sa fille, une auxiliaire pour reconstruire sa famille. Autour d'eux, se trouvent des personnages ambivalents, tels Kamel ou Rachid, ce qui permet, là encore, de créer des liens inattendus.
En lisant ce roman, le lecteur appréciera également la finesse du travail du style: les dialogues sont ciselés et les voix sont bien caractérisées, et l'auteur trouve le moyen d'intercaler les billets de blog du père en colère afin d'introduire une nouvelle parole. Cela, tout en analysant avec pertinence les limites de l'exercice de blogage, exercice à la fois intime et partagé. A ce propos, tout au plus pourrait-on dire que passer à la télévision juste parce qu'on tient un blog de père démuni qui a sa petite audience, c'est peut-être un peu too much... Cela, même si la description de l'émission de télévision à laquelle participe le père blogueur rappelle immanquablement, dans un réalisme criant, les dérives des talk shows actuels.
Enfin, le contexte est bien dépeint, et pose plusieurs questions. Décor du roman, la ville de Saugny rappelle toutes ces banlieues déshéritées dont on parle aux actualités; autour de la famille, l'auteur montre des jeunes qui veulent s'en sortir d'une manière ou d'une autre: l'instruction (Kamel) ou le commerce de drogue. Présenté comme un gage d'argent facile, ce dernier porte une autre question: si les jeunes s'y adonnent, n'est-ce pas aussi la faute à une société consumériste du "tout, tout de suite"? Dans quelle mesure? Ces questions souvent débattues traversent tout ce roman, qui apporte des éléments de réponse comme autant de pièces d'un puzzle sociologique.
"Un père en colère" est donc un succès d'écriture. Fait remarquable, c'est à travers le regard d'un père que le lecteur est invité à suivre ce qui se passe - un père qui se livre, qui sait jouer des coudes et n'hésite pas à montrer ses faiblesses. Cela, dans un monde où il faut savoir tout faire et endurer beaucoup.
Jean-Sébastien Hongre, Un père en colère, Paris, Max Milo, 2013.