Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Lu par Café Powell, Choupynette, Clara, Cultur'elle, Cunéipage, Elodie, Enlivrons-nous, La Pause Librairie, La Ruelle bleue, Reading In The Rain.
Billet écrit en partenariat avec les éditions Rue Fromentin, que je remercie pour l'envoi.
Le site de l'auteur: J. Courtney Sullivan.
"Après tout, elle venait d'une famille d'ivrognes, de handicapés émotionnels, aigris par la rancune.": glanée à la page 238 de "Maine", cette phrase résume à merveille les 454 pages de ce roman, le deuxième de l'écrivaine américaine Julie Courtney Sullivan, qui vient de paraître aux éditions Rue Fromentin dans une traduction en français signée Camille Lavacourt. Ce long voyage dans le Maine est aussi la peinture des relations houleuses qu'entretiennent quatre femmes, de trois générations, liées entre elles par les liens familiaux. Cyclique, le roman change de point de vue à chaque chapitre, dans un ordre immuable.
Il me faut relever avant tout, non sans les nuancer, les qualités de ce roman, pour commencer. C'est en effet un vrai tour de force romanesque que de créer des personnages aussi finement creusés et observés, et d'observer les caractères qui se frottent et les vannes qui fusent, autour d'une maison qui finit par constituer une pomme de discorde parmi d'autres. D'une manière générale, du reste, la force de ce roman réside dans l'observation des êtres humains, et en particulier des personnages féminins, les hommes étant relégués dans des rôles périphériques par forcément valorisants: un futur père immature, un hippie vieillissant, un jeune homme bon à rien... Cette attention sur les personnages fait aussi passer le décor au second plan, alors que le titre du roman suggère que l'auteur va aussi offrir une vision du Maine, cet Etat américain rendu célèbre par Stephen King. On retiendra toutefois la saisissante description du dramatique incendie du Cocoanut Grove, une boîte de nuit de Boston: c'est réellement arrivé (pour en savoir plus, c'est ici). Et dans le roman, cet épisode fait figure d'instant clé.
Pourtant, il n'est pas évident d'intéresser son lectorat à un tel sujet, et le récit n'y parvient pas tout à fait. C'est peut-être dû à une mise en place assez longue (une centaine de pages pour le premier cycle de quatre chapitres), où le lecteur pourra avoir l'impression, plus d'une fois, d'assister aux petits soucis de riches, d'un intérêt contestable, d'une grande famille dans laquelle on peut facilement se perdre. Si le sujet de l'alcool est traité tout en nuances et fortement exploité, l'idée de la création de maisons de poupées paraît plutôt futile. Par ailleurs, le fait d'avoir gagné la maison dans un pari et l'idée du métier de l'élevage de vers (avec une description complaisant de leurs précieuses déjections, vendues comme engrais) tenu par l'une des femmes mises en scène et par son mari m'ont paru un poil "too much". Cela, à moins que l'auteur ne souhaite prêter à sourire.
Et c'est sans doute son intention, tant il est vrai que certaines scènes et trouvailles de ce roman, sans être hilarantes, ne sont pas dépourvues d'humour. Cet humour paraît toutefois assez paradoxal dans ce roman, qui se présente plutôt comme un drame familial. Peut-être est-il le résultat d'une volonté, de la part de l'auteur, d'alléger des ambiances volontiers lourdes et tendues, dans lesquelles l'alcool joue facilement un rôle catalyseur.
Il me faut donc bien reconnaître que je suis passé à côté de ce long roman, même si j'en reconnais les qualités littéraires... Sans doute attendais-je autre chose.
J. Courtney Sullivan, Maine, Paris, Rue Fromentin, 2013, traduction de Camille Lavacourt.