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Un rapprochement entre Berlin et le Valais, en passant par Fribourg,
Bruxelles et quelques autres lieux d'Europe: telle est la géographie de "Le Cri de Riehmers Hofgarten", dernier roman de l'écrivain suisse Bastien Fournier. Cet ouvrage est cependant
aussi et surtout le récit d'une rupture, vue en très gros plan, comme au microscope, à l'image du cri silencieux lancé dans Riehmers Hofgarten en début de récit.
Le lecteur est frappé d'emblée par la démarche éminemment poétique, musicale que l'auteur adopte - quitte à faire passer au second plan tout ce qui pourrait paraître figuratif. La musique de ce roman naît du jeu des anaphores et des répétitions, qui finissent par constituer une incantation. Les longueurs des phrases sont également calculées avec précision: elles sont certes parfois courtes, mais s'étendent aussi volontiers sur plusieurs pages, comme en une tentative d'embrasser le monde entre deux points, quitte à faire des étapes à chaque virgule. A un niveau supérieur même, les chapitres courts constituent des instants de respiration et de repos entre les narrations, en chapitres plus longs, des vicissitudes de Simon, le personnage à travers lequel le lecteur est invité à assister au drame microscopique qui constitue le fond de ce roman.
Il s'agit du roman d'une rupture, celle qui sépare Aélia et Simon, deux êtres que tout pourrait rapprocher (en particulier le goût des arts) et que tout finit par séparer, en particulier la musique. Aélia est en effet harpiste. Un choix d'instrument qui n'a rien d'innocent, dans la mesure où une harpe est suffisamment petite pour être transportée partout par l'instrumentiste qui en joue, et suffisamment grande pour occuper tout l'espace. A ce titre, elle incarne la musique, cette maîtresse envahissante et jalouse qui ne laisse la place à personne d'autre dans une vie, surtout au moment fatidique des études et du début de carrière. On sent dès lors poindre une once de jalousie dans l'amant éconduit...
... d'autant plus que l'auteur présente Aélia comme une personne éminemment désirable, en s'attardant volontiers sur certaines de ses caractéristiques physiques, jambes ou décolleté. Autant de beautés d'autant plus convoitées qu'elles sont désormais inaccessibles pour Simon.
Celui-ci est professeur de latin à Saint-Maurice, établissement de tradition. Il se retrouve mêlé à l'incendie d'une librairie d'occasion sédunoise, qui fait dès lors figure d'incarnation du drame des coeurs - une incarnation silencieuse qui fait écho au cri inaudible de Riehmers Hofgarten, présenté en début de roman. Les appels au secours inaudibles émaillent du reste ce roman, où l'on voit Simon et d'autres personnages boire plus que de raison, volontiers par désarroi, alors qu'Aélia, de son côté, communie de manière quasi désincarnée avec la Musique, dans quelque salle de concert de niveau international, forcément éloignée de soucis bassement helvétiques. Une autre forme d'ivresse?
"Le Cri de Riehmers Hofgarten" est un roman profondément original dans le paysage littéraire romand. S'il aborde un sujet classique, c'est dans son traitement que réside la nouveauté - un traitement qui fait la part belle aux phrases travaillées et expressives, afin de créer, page après page, une prose des plus poétiques qui gagne à être mieux connue.
Bastien Fournier, Le Cri de Riehmers Hofgarten, Charmey, L'Hèbe, 2010.
Le site de l'écrivain: http://www.bastienfournier.ch.