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... une phrase choc qui, huit ans après sa publication dans "L'année du
réel", revêt une consonance particulière alors que l'homme en question est, depuis, devenu Président de la république française. Cette phrase fait référence au rêve, qui est l'une des
facettes du roman de Dominique Souton, publié en 2004 et dont l'action se situe dans les années 2002 comme le soulignent certaines allusions, de rigueur ici, à l'époque réelle. Rien de
politique dans ce roman, cependant: comme son titre l'indique, la démarche littéraire de "L'année du réel" consiste à saisir le réel sous toutes ses formes et, sur un ton d'un
badinage de dilettante, d'identifier ces dernières.
L'auteur propose, d'une manière qu'elle veut intéressante, donner à l'expérience un côté expérimental en recréant, dans son salon, l'ambiance de la mythique caverne de Platon - celle-ci étant figurée par un grand carton, dressé dans son salon, dans lequel la narratrice choisit d'habiter pendant une durée prolongée. Le principe de réalité vient quand même imposer ses limites dès le chapitre premier, qui expose cette méthodologie singulière. La narratrice se fixe des horaires de présence dans le carton (alors que les habitants de la caverne de Platon y sont sans doute en permanence) et garde son téléphone portable allumé: "à cause des enfants, je dois pouvoir être jointe à tout moment." Sur ce, le carton se fait très discret tout au long du récit, jusqu'à refaire surface dans les derniers chapitres.
L'approche des différentes formes de réel s'effectue essentiellement au contact d'autres gens. Il en résulte, dans ce roman, une puissante brochette de portraits très divers, esquissés, de personnages qui apparaissent telles des ombres avant de disparaître du roman, après avoir apporté leur contribution; pour le lecteur, pas le temps de s'attacher, donc. La narratrice prend des notes (qu'elle perd, parfois), retient des phrases, réfléchit au réel, à l'imaginaire, au symbolique, au rêve. Et chaque personnage la fait ainsi avancer. Pour le lecteur, c'est quand même jouissif, parce que si fugace qu'il soit, chaque personnage a son originalité: mysticisme (on trouvera ici Véronique, "téléopératrice mystique"), phrases péremptoires, interprétation des rêves, idéalisme, contestation.
On pourrait s'attendre à ce que le propos adopte la lourdeur verbeuse qu'affectent certains ouvrages de philosophie. Fort heureusement pour les amateurs de romans, il n'en est rien. La légèreté est de mise, l'observation volontiers goguenarde des contemporains aussi - ce que viennent souligner quelques titres de chapitres intrigants: "Trombonisation", "Un perroquet existentialiste" (tout Sartre revisité...), "Un rétroviseur pédonculé" (ou l'art de voir un oeil énucléé dans un rétroviseur cassé - tout l'art de la métaphore comme transfiguration du réel...). L'auteur a la sagesse de rédiger des chapitres courts (et l'éditeur de les mettre en page de manière aérée) au rythme changeant: on a parfois des listes de personnages retracés rapidement de manière numérique, des choses vécues et transcrites avec quelques répliques, et même un dialogue de la narratrice avec soi-même - recréant, à grands renforts de points de suspension, l'évolution tortueuse d'une pensée qui se construit.
On est certes loin de l'extrême et du sensationnel suggéré par le personnage de la libraire (qui a aussi son histoire) à la romancière. Au contraire, le lecteur sort de cette lecture en se disant que l'auteur est, comme c'est souvent le cas depuis Philippe Delerm et Amélie Poulain, attentive aux petites choses et à l'anecdote et met en scène une femme d'aujourd'hui, bien ancrée dans les mille avatars actuels du réel. Et si, en définitive, c'était dans nos simples individualités, dans leurs replis et leurs infimes détails que se cachait l'essence du réel?
Dominique Souton, L'année du réel, Paris, L'Olivier, 2004.
La citation placée en titre du présent billet figure à la page 102 du roman...