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Avec
"Le souffle coupé", c'est un bref roman d'anticipation que Stéphane Camille, écrivain domicilié en Nouvelle-Calédonie, offre à son lectorat. Illustrée de traces blanches sur un fond bleu marine,
quasi abstraites, la couverture du livre paru chez Actes Sud a de quoi intriguer le lecteur potentiel: sont-ce des graines germées, des insectes, des anges? L'ouvrage est tout aussi suggestif et,
fort d'une toute petite centaine de pages, fait figure d'ébauche de roman d'anticipation, stylistiquement originale et atypique.
Telle est sans doute, en effet, la principale force de "Le souffle coupé": un style protéiforme, construit sur une base volontairement neutre qui permet de moduler à volonté. Des descriptions très directes côtoient donc des pages d'un lyrisme fulgurant (et de la fulgurance, il en faut, parce que c'est court!) et des passages très "science-fiction", crépusculaires et efficaces. Cela, sans oublier quelques jeux de mots judicieusement disposés - sans doute pour rappeler que le propos, s'il est grave, n'exclut pas la prise de recul.
Crépusculaire, ai-je dit? Ce bref roman peut se résumer rapidement: dans un monde autre que le nôtre, peut-être futuriste, un groupe de quatre amis décide d'"entrer en sexualité" comme on entre dans les ordres religieux (ou dans une communauté, ce qui est de rigueur dans la société communautariste de ce roman), pour faire le deuil d'un enfant mort à cent vingt jours. La narration adopte le regard d'une des deux femmes du quatuor - les autres membres étant ébauchés au moyen d'un nombre minimal de caractéristiques. On se souviendra entre autres de Ghislain et de son impuissance persistante, par exemple - et y voir un symbole récurrent, quoique superficiellement abordé, de la faiblesse du sexe qu'on dit fort.
Ce groupe de jeunes gens s'inscrit dans un monde présenté comme entièrement bétonné qui représente un désastre écologique: autoroutes sur lesquelles on se suicide, omniprésence de machins chimiques, pollution nucléaire, etc. Pas flamboyant pour deux sous, le style de l'auteur donne à imaginer un univers gris - et plutôt gris foncé - qui sert de cadre à ses personnages.
Mais au-delà de ces ingrédients prometteurs, le lecteur doit admettre qu'il reste un peu sur sa faim. C'est qu'entre l'anticipation, la mort subite du nourrisson et les aléas de la sexualtié de groupe, il y avait largement de quoi construire un roman trois ou quatre fois plus volumineux et nourri. A la fin du roman, on se dit donc que l'auteur n'a fait qu'effleurer un propos qui aurait mérité d'être plus développé: un univers plus amplement dépeint, un relationnel plus fouillé entre des personnages creusés davantage - à l'exception de la narratrice bien sûr, d'une franchise et d'une crudité affichées, bel exercice de composition pour un auteur de sexe masculin. Reste le souvenir d'un style travaillé et de quelques jeux de mots astucieux; mais est-ce suffisant pour faire un grand roman, ou même un bon livre? D'autres lecteurs ont parlé ici de "festin sexuel"; quant à moi, je me suis senti un peu laissé à l'écart de la table des réjouissances.
Stéphane Camille, Le souffle coupé, Arles, Actes Sud, 2004.