Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Lu par L'Ogresse,
Méli-mélo, Tioufout.
Le site de l'auteur: http://www.paulfournel.com
Président de l'Oulipo, l'écrivain stéphanois Paul Fournel a donné, en mai 2009, un recueil de nouvelles intitulé "Courbatures". La littérature serait-elle un sport de combat? Elle permet en tout cas la mise en scène de sportifs. Mais Paul Fournel décide d'étendre le sens de la courbature (douleur musculaire qui suit un effort physique intensif et prolongé) et d'en faire le contrecoup de toute approche de la gloire, plus ou moins réussie, plus ou moins étendue. Le résultat, c'est un recueil de nouvelles d'une grande unité de ton, plutôt classique, mettant en scène des individualités soudain placées sous les projecteurs, et où émergent quelques originalités.
La gloire peut ainsi être due au succès - des succès qui ont peut-être besoin d'un petit coup de pouce. "Le premier mercredi du mois" met ainsi en scène deux vedettes qui vivent une relation amoureuse montée de toutes pièces pour les tabloïds en vue de faire mousser leurs dernières productions. L'auteur entretient cependant le doute: dans quelle mesure les deux protagonistes principaux de cette nouvelle croient-ils à leur histoire aux relents de plus en plus sulfureux? D'un côté, ils jouent le jeu sans trop se gêner; de l'autre, ils ont tous deux une famille à laquelle ils tiennent, et chacun un enfant; ces deux fils s'entendent bien... "Rock'n'roll attitude" est aussi l'histoire d'une réputation montée de toutes pièces: un rocker calme et consciencieux paie un gars pour massacrer sa chambre d'hôtel parce que ça fait mieux dans les journaux. La lecture de Philip Roth, les accords consciencieusement répétés: le lecteur sent bien que quelque chose cloche... jusqu'à l'explication finale.
Sport, ai-je dit... c'est par exemple la boxe, qui offre à l'auteur l'occasion de créer une belle fable sur la philosophie du vainqueur avec "Champion du monde", posant que le champion doit être avant tout celui qui sait quand il doit céder face à plus fort que lui. L'exemple d'un chien qui sait cela de manière innée, utilisé dans le récit, suggère même que quelque part, les animaux sont plus sages que les humains. A méditer? La nouvelle consacrée au joueur de football américain a un goût très américain avec ses anglicismes, sa terminologie pointue et son esprit de compétition porté à l'extrême (image de la pyramide où une seule personne, le quarterback, occupe le sommet). Mais elle met très bien en évidence le fait qu'un quart de seconde peut être fatal au meilleur joueur. Faiblesse? Le joueur mis en scène, pourtant très professionnel, semble mettre en oeuvre à la hâte une botte secrète portant sur la forme du ballon. Or, un vrai champion prendrait le temps de faire en sorte que cela ne porte pas préjudice à son jeu. Car à ce niveau-là, c'est sur de toutes petites choses que l'on fait la différence.
La légèreté de l'humour potache n'est pas absente du recueil.Il y a par exemple la chute de "Deuxième", histoire d'un coureur de fond fier d'être deuxième, surtout derrière un premier dopé - là, l'auteur plonge le lecteur dans le doute en suggérant que ledit deuxième est dopé aussi, mais en quelque sorte mis à l'abri par le test positif du premier. Présenté comme sympathique tout au long de la nouvelle, destinataire de mille messages de soutien parfois ambigus, ce deuxième l'est-il encore à la fin, aux yeux du lecteur? Moins fine, la chute de "Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance" est en fait une blague que nous nous racontions en fac, lorsque notre taux d'alcoolémie dépassait le pour-mille. Un poil déçu sur ce texte que j'ai fini par sentir venir, même si son début est plutôt bien amené.
Oulipo, enfin? Les deux derniers textes ont un goût plus expérimental que les autres et démontrent que même les formes littéraires brèves peuvent beaucoup dire. "Estación Guadalupe", sorte de western, prend des airs de micro-roman avec des chapitres qui offrent chacun une unité d'action, sur des actes qui, bien que peu essentiels en eux-mêmes, disent une avancée. Construction sur le sable, cependant: la gare qui donne son titre à ce texte a été construite alors qu'il n'y a pas de train, au milieu du désert. A la fin, on attend toujours la première composition en ville, alors que la cité s'est bien développée par ailleurs. Le train serait-il ici un prétexte, un McGuffin? Belle métaphore de ces humains qui attendent des chimères, qui courent après des fantômes. "Romans", dernière nouvelle du recueil, relate, selon sept points de vue différents correspondant à sept protagonistes, une intrigue anecdotique. Celle-ci gagne cependant en longueur et en intensité au gré des récits, le premier étant assez neutre, le dernier offrant peu à peu toutes les explications manquantes.
C'est donc un recueil pertinent que Paul Fournel offre ici, explorant à sa manière plusieurs potentialités du genre de la nouvelle, bien dans l'esprit oulipien de recherche des potentialités d'ungenre littéraire. Cela, sans que le lecteur n'ait jamais l'impression d'avoir affaire à un recueil décousu fait de fonds de tiroir, grâce à une unité de ton et de thématique (les courbatures du corps et de l'âme) qui sied bien à la démarche artistique choisie par l'auteur.
Paul Fournel, Courbatures, Paris, Seuil. 2009.