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Au départ, il y a une thèse de doctorat, celle de la chercheuse Marine
Lefèvre, soutenue à l'université Paris-IV-Sorbonne. Et dès à présent, le lecteur friand d'histoire diplomatique peut découvrir, dans les pages du livre "Le soutien américain à la Francophonie",
les arcanes d'un appui inattendu à l'organisation que firent émerger, en son temps, les dirigeants africains Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba et Hamani Diori.
Cette étude se fonde sur les travaux du chercheur américain Jeffrey Rosner, qui a mis au jour la question de l'aide américaine à la Francophonie ainsi que ses enjeux, en particulier dans l'optique de retenir les pays africains dans le giron occidental, dans une perspective mondialiste. Elle recourt également à une vaste bibliographie, constituée d'études du monde entier (livres, articles), mais aussi d'archives diplomatiques et ministérielles des Etats-Unis, de la France et du Canada.
L'auteur prend le temps de dépeindre le contexte qui prévaut dans les années 1960/70, sous les présidences successives de John F. Kennedy et de Lyndon B. Johnson. Cela lui permet de dégager progressivement le concept de "désengagement engagé" qui décrit au mieux les modalités de la présence américaine en Afrique durant cette période, une présence qui évolue assez rapidement vers des aides plus réduites et ciblées et se traduit par une volonté globale de jouer le rôle de "junior partner" aux côtés de la France, restée présente à différents degrés dans ses anciennes colonies.
L'étude approche ainsi, à partir des cas particuliers et fort différents du Congo, du Sénégal, de la Guinée, de la Tunisie et de la Côte d'Ivoire, les différentes manières d'intervenir ou de se positionner des Etats-Unis, en fonction des enjeux. On pourrait croire que les Etats-Unis sont soucieux de ne pas faire de vagues; mais l'auteur parvient à identifier, au chapitre 6, des sources de tensions et de rivalités entre l'ancien colonisateur et la puissance américaine. Une puissance qui ne trouve pas forcément ses marques en Afrique francophone toutefois, en raison de sa méconnaissance du terrain et des langues qui y sont parlées - y compris le français.
Cela n'empêche pas les Américains de s'intéresser à la Francophonie institutionnelle et de suivre son émergence de très près, éventuellement aux côtés du Canada, dont l'intégration à l'ensemble francophone ne va pas sans heurts dans un contexte marqué par l'indépendantisme québécois, mal vu par le gouvernement d'Ottawa.
"Le soutien américain à la Francophonie" se développe ainsi selon une grande diversité de points de vue, faisant alterner études de cas, pages d'histoire diplomatique, portraits de personnages (Hamani Diori), analyse critique d'autres ouvrages, etc. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives de recherche, par exemple concernant d'éventuels échecs américains survenus dans le cadre de leur approche de l'Afrique francophone. Consciente du caractère paradoxal de ce soutien, l'auteur parvient cependant à le rendre lisible et compréhensible à tout lecteur intéressé, et à lui présenter les différents points de vue et enjeux qui sous-tendent ce pan de l'aide américaine.
Marine Lefèvre, Le soutien américain à la Francophonie, Paris, Sciences Po Les Presses, 2010.