Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Je
vais vous faire une confession, amis visiteurs de ce blog: depuis hier soir, je suis à fond dans l'oeuvre écrit de Sébastien Ménestrier. Cela devrait s'arrêter bientôt: cet auteur a l'art
d'écrire court, et ses deux romans, "Heddad" (La Chambre d'échos, 2008) et "Pendant les combats" (Gallimard,
2013) totalisent à peine 200 pages bien aérées. Mais ce n'est pas la quantité qui compte, et la qualité est là aussi; c'est pourquoi je partage avec vous le plaisir que j'ai eu à découvrir, entre
hier et aujourd'hui, "Heddad".
Roman, récit, conte même: peu importe la désignation, même si l'auteur a retenu celle de récit. Les ambiances sont celles d'un conte ou d'une fable moderne, avec des décors flous et des accessoires de toujours qui, sachant rester sobres, laissent toute la place aux personnages et à leurs interactions - vues, en l'occurrence, à travers le regard de descendantes du père Heddad, un homme qui aime marcher et devient aveugle peu après la naissance de sa première fille. Et c'est à la petite-fille d'Abraham Heddad que revient le rôle de renouer les fils par l'écrit, en l'occurrence par la tenue d'un cahier.
Le lecteur des deux petits livres de Sébastien Ménestrier découvre un orfèvre de la forme brève. Dans "Heddad", l'auteur recrée une certaine oralité, à l'aide de quelques traits classiques sobrement glissés dans le texte: utilisation de la forme "y'a", omission du "ne" dans les négations, emploi du pronom "on" comme synonyme de "nous" (même dans les cas où "nous" aurait été plus fort, dans l'absolu), et surtout une orientation systématique vers le concret, qui donne chair à "Heddad". Ce sens du concret débouche sur une sensualité du récit, où apparaissent par exemple les cheveux chéris d'une fille. Cela, sans oublier un sens consommé de l'ellipse, qui suggère l'acte sexuel sans jamais le décrire ni le nommer.
Cette forme très aboutie se place au service d'une histoire toute simple, comme il se doit, celle d'une famille qui vit en un lieu mal défini, Paris peut-être, ou alors le monde arabe. Au fil des pages, des morts, des fugues et des départs dans la vie, "Heddad" est l'histoire d'éclatements familiaux qui sont autant d'aléas de la vie, et contre lesquels on paraît lutter: "On ne peut pas vivre que du séparé, faut être sérieux deux minutes", serine un personnage. Côté famille, il est du reste piquant de relever que si le père Abraham Heddad aimait marcher et a été un très bon footballeur, son petit-fils devient un coureur de marathon. Atavisme, avez-vous dit?
En contrepoint avec la gravité de l'illusoire espoir du maintien de l'unité familiale, se glissent quelques traits d'esprit bien intégrés au récit: Monsieur Sar et Madame Dean paraissent faire écho aux sardines de tente que l'un des personnages ne peut planter devant le palais de justice, et les sardines, ces petits poissons bien connus (!), pourraient trouver place dans l'aquarium qui traverse une partie du récit.
"Heddad" est une lecture simple et rapide, qui plonge en permanence dans le concret et recherche sans cesse l'image la plus parlante et la plus forte. La narration est aérée, donnant l'impression de flashes; mais elle n'en est pas moins dense et prenante, et chaque phrase témoigne de la volonté de l'auteur, poétique s'il en est, de faire entendre des voix originales: celles de ses personnages.
Sébastien Ménestrier, Heddad, Paris, La Chambre d'échos, 2008.