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"La fortune, c'est maintenant!": telle est la proposition de la boîte de
prod' Famisol, qui exploite un concept de téléréalité consistant à inviter deux personnes à échanger leur vie de la manière la plus crédible possible. Et pour la saison à venir, une top-model
brésilienne viendra jouer les agricultrices en Creuse (à Saint-Fiel, pour être précis) pendant qu'une lycéenne fermière va devoir s'essayer aux subtilités du catwalk. Tel est, comme qui
dirait, le pitch du roman "Changer de vie" de Valentine Chetail. Intéressant? Certes; mais l'auteur y ajoute une bonne dose de romance pour faire bon poids. C'est du reste la règle du jeu de la
collection "Les Romanesques" où ce petit livre a paru.
Le récit est porté par un style standard, simple, direct, dépourvu de tout effet - quitte à paraître peu joueur et à expliciter un peu trop, par exemple lorsque l'auteur explique le sens de l'adjectif "bankable" (p. 18). Rigoureusement linéaire et chronologique, il entraîne le lecteur, qui n'a aucune question de temporalité à se poser: comme dans la vie réelle, le temps avance, pour ainsi dire sans retour, si ce n'est celui de quelques souvenirs fugaces mais utiles au propos. L'auteur a compris que toute bonne romance commence lorsque quelqu'un prend quelqu'un d'autre par la main. Et là, c'est elle qui entraîne ainsi le lecteur, sans façons, en toute simplicité.
Deux lieux traités fort différemment
Le lecteur sera un peu étonné par la relative faiblesse de la couleur locale accordée à la Creuse: certes, les noms de lieux sont corrects (il y a bel et bien un Saint-Fiel en Creuse...), mais finalement, la ferme de la Guillotière, lieu de l'action, aurait pu se trouver partout ailleurs en France rurale. Cette description recèle même une imprécision: l'auteur laisse entendre que son personnage féminin, Mathilde, prend le train pour se rendre de Guéret à La Souterraine (attente sur le quai de la gare, alors que les bus partent de la place de la gare, de l'autre côté) - or, dans la réalité, le moyen de transport le plus simple et le plus direct est ici le bus, et l'horaire proposé (39 minutes de trajet) reflète bel et bien un voyage en bus.
Cela tranche avec la vision détaillée de la ville de Paris, dont les lieux sont cités (rue Daguerre, place Vendôme pour le glamour, etc.). Un déséquilibre qu'on peut interpréter comme le reflet du fait que Paris fait plus rêver que la Creuse et que par conséquent, il vaut la peine de lui accorder un supplément de précision descriptive.
Deux thèmes directeurs
Rien de tel, pour créer une tension, que de jouer sur la dualité! Le procédé est donc classique. Mais sur ce coup-ci, l'auteur a trouvé deux univers que tout oppose, créant un contraste maximal. Bien joué!
Correspondant globalement à la ville de Paris, la vision de la téléréalité renvoyée par ce court roman est des plus synthétiques. L'auteur émet quelques vérités sur un monde dont les producteurs savent défendre leurs intérêts: sauveur une émission, sous-payer une candidate (cent mille euros, quand même...) et verser un pont d'or à titre de cachet à l'autre, afficher une certaine condescendance face à Mathilde, l'agricultrice qui aurait bien besoin d'une séance de manucure et d'un relookage vestimentaire passant par les boutiques à la mode proches de la place Vendôme... Cela suffit à camper le décor, même s'il n'y a pas, dans le propos, l'esprit d'analyse détaillé et caustique qui anime par exemple "Télémania" de Sarah Mlynowski.
La ruralité, qui a son empire en Creuse dans ce roman, est l'autre élément clé de ce roman. Celle-ci est certes portée par le décor creusois; mais de manière plus globale, l'auteur rappelle non sans pertinence que chacun a un parent ou un ancêtre actif dans l'agriculture. Il y a dans son propos une vision qui oscille entre l'attrait de la terre (ce que confirme le happy end), une terre magnifiée sans excès: les soucis de la vie rurale, en particulier financiers, ne sont pas occultés. Tout au plus aurait-on aimé avoir un regard plus ciblé sur le quotidien et les servitudes de la vie des paysans; quelques aspects, comme la production du fromage, sont peints ici d'une manière plutôt livresque. Les moqueries dont Mathilde fait l'objet au lycée (elle sent le bouc, paraît-il!) sont en revanche fort bien observées.
La romance comme fil conducteur
Les éléments de décor ont leurs forces et leurs faiblesses, on l'a vu. Ceux-ci servent d'arrière-plan à ce qui constitue finalement le véritable fond de ce roman: la romance. Là, l'auteur sait faire chanter les violons et réveiller la midinette qui sommeille en chacun d'entre nous (n'est-ce pas?). A l'origine d'un coup de foudre, la chute à Vélib à Paris est juste assez crédible pour qu'on y croie (après tout, ça peut arriver, les cyclistes sont si imprudents...), et juste assez exceptionnelle pour que le lecteur ait l'impression de lire le récit d'une histoire hors du commun - mais toutes les histoires d'amour ne sont-elles pas exceptionnelles? A noter que le cycliste est un écologiste aux cheveux roux; toute ressemblance avec Daniel Cohn-Bendit est-elle fortuite ou délibérée? Le lecteur attentif notera enfin que le vélo que la jeune femme chevauche sur la couverture n'est pas un Vélib...
Le processus qui finit par jeter dans les bras l'un de l'autre Jean (le frère de Mathilde, agriculteur droit dans ses bottes) et Elba (le top-model brésilien) a quelque chose d'improbable qui fait qu'on a envie d'y croire - dans la plus pure tradition des comédies romantiques à l'américaine, dont l'intérêt principal réside dans les péripéties qui vont rapprocher deux coeurs que tout éloigne a priori. Tout au plus peut-on objecter qu'Elba, soi-disant fille d'agriculteurs modestes, a des gestes peu crédibles, par exemple l'idée d'asperger les chèvres de parfum cher pour qu'elles sentent moins fort. De même, ses allusions au Petit Trianon et à Marie-Antoinette, si elles ont leur pertinence dans l'absolu (l'idée de "jouer à la ferme") ne sont pas des mieux placées dans la bouche d'une fille qui vient de loin, même si elle connaît son histoire de France. Reste que c'est quand même ce sacré ingrédient agreste, omniprésent, qui les réunit.
Il y a un autre élément propice à l'évolution d'une romance, et c'est l'absence d'un véritable méchant, vraiment susceptible d'entraver la marche des choses. Il y a certes un chaperon (selon une typologie classique, revisitée au goût du jour puisque le chaperon a ici les traits d'un coach), et la directrice du projet d'émission s'avère méprisante envers Mathilde. Mais il est assez facile de triompher de tels obstacles lorsqu'on est amoureux - en littérature comme dans la vraie vie, cette vérité ne date pas d'hier.
Recommandable? A vous d'essayer de vous y aventurer: malgré ses quelques faiblesses, c'est une lecture légère, facile et agréable à lire, fondée sur des recettes solides et éprouvées. Il y a là de quoi amuser ou séduire, selon qu'on aime le genre de la romance ou qu'on l'aborde avec un regard distant et ironique.
Valentine Chetail, Changer de vie, Paris, Pocket/Les Romanesques, 2011.