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Puisque tout est chrétienté,
puisque Dieu est partout, du Vatican à la chick lit (à l'exemple des romans de Camy Tang), pourquoi le thriller ne Lui réserverait-il pas une place? J'ai interrogé Saint Google, qui m'a répondu que oui, oui, le
thriller chrétien, ça existe... et que pour le domaine français, ça s'édite chez Tolège. Une proposition de partenariat lancée par la librairie en ligne A La Page m'a permis de satisfaire ma
curiosité et de répondre à la question fondamentale du genre: le christianisme est-il soluble dans le thriller? Et réciproquement? C'est ainsi que je me suis retrouvé à lire "Le Signe de
l'Archange", roman signé Frédéric Bovis et dont l'essentiel de l'action se déroule au Mont Saint-Michel.
De quoi s'agit-il? En 2007, le Mont Saint-Michel devient le théâtre du combat entre le Bien et le Mal, entre les chevaliers de l'Apocalypse et les Gardiens du bien. Ainsi se réalise une
malédiction lancée six cent soixante-six ans auparavant par Dieudonné des Forges, brûlé pour sorcellerie et grand copain de Satan en personne. Pour le côté bien terre à terre, on trouvera une
politicienne socialiste aux visées politiques et humaines ambiguës, un policier mis à l'écart mais dont le destin est marqué par sa naissance le jour même de la mort de Padre Pio, une
gendarmette catholique pratiquante, un organiste maudit... et le Mont Saint-Michel en toile de fond - où les morts suspectes, trop honnêtes pour être purement accidentelles (sinon, il n'y aurait
pas de roman), s'accumulent tout soudain.
"Le Signe de l'Archange" fait suite à un roman intitulé "La Trace", coécrit par Frédéric Bovis et deux autres écrivains, et attend une continuation: en fin de récit, l'auteur laisse suffisamment
de portes ouvertes pour avoir de quoi poursuivre: il développe peu la nature réelle du personnage de Sarah Stern (la gendarmette catholique évoquée plus haut), ne donne pas suite à
l'affaire du Suaire de Turin et du zététicien qui doit en parler et reste assez mystérieux sur deux personnages supposés jouer un rôle crucial dans le récit. Reste que ce roman est
parfaitement cohérent, même s'il fait partie d'un ensemble plus grand - comme l'est finalement l'humanité, ou même l'univers. Une impression de rester sur sa faim? Cela peut arriver; force est de
noter que "Le Signe de l'Archange" est le tome 2 d'une tétralogie.
Ce roman fonctionne donc sur le mode fantastique, dont le fonds de commerce est l'incertitude entre réel et surnaturel. L'auteur suggère très fort la vision "surnaturelle" de la question, en
conférant à ses personnages clés un apostolat qui les transcende. Mais la porte d'une vision réaliste de l'action reste ouverte. Elle est naturellement privilégiée par Louis Dorval, qui mène
l'enquête et, cartésien comme un Français peut l'être, ne saurait se contenter d'arguments du genre "C'est la faute de Satan" (tout à fait acceptable, en revanche, pour les
policiers italiens, présentés comme plus ouverts au mysticisme), et par Damien Liffart, même pas assez curieux pour interroger les faits eux-mêmes. Cela, sans compter les intérêts bien terrestres
qui entourent la vie du Mont Saint-Michel au quotidien, entre tourisme lucratif et construction d'un pont (donc trafic d'influences, millions d'euros à la clef, etc.).
Le versant mystérieux du fantastique de ce récit puise, on l'a compris, dans la Bible et la tradition catholique: entre Padre Pio et le Gargano, Jérusalem la multireligieuse, le Mont
Saint-Michel ou New York (autant de terres imprégnées de religion(s), ce roman se nourrit des légendes d'ici et d'ailleurs, voire de la sainteté de certains héros, à l'instar de Saint Aubert,
maître d'ouvrage de la construction du Mont Saint-Michel - dont le lecteur découvre tous les mystères. La Bible constitue une source aussi, en particulier l'Apocalypse, volontiers citée, et,
plus mystérieusement, l'épisode de la transmission de pouvoir entre Moïse et Josué.
Outre les héros (sur)humains de ce roman, le Mont Saint-Michel, menacé à plus d'une reprise dans les quelque 400 pages du roman, constitue à lui seul un personnage,
décidant de la vie ou de la mort des êtres que l'auteur fait exister. Le lecteur est ainsi baladé du côté de l'escalier de dentelle, présenté comme plutôt dangereux; il assiste à la chute de
l'Archange Saint-Michel qui coiffe l'édifice, et se retrouve plus souvent qu'à son tour à manger un morceau chez la Mère Poulard, restaurant emblématique. Présenté comme une élévation vers
le Ciel, le Mont Saint-Michel fait ici écho à la cathédrale Saint-Patrick de New York qui, bien que de hauteurs comparables, est présentée comme un édifice écrasé... ou écrasant. Or, c'est
dans ce dernier lieu que le lecteur voit apparaître pour la première fois un organiste plutôt diabolique, chouchou des dames, sorte d'André Rieu des claviers et pédaliers...
Alors, le catholicisme est-il soluble dans le genre du thriller? Il est probable que le thriller chrétien archétypique est encore à écrire; mais l'auteur a démontré avec talent, avec
"Le Signe de l'Archange", qu'il est possible de faire fonctionner un récit en le fondant sur le catholicisme. Cela vaut une bonne dose de fantastique - mais le fantastique, en littérature et
ailleurs, aurait-il été possible sans ce modèle qu'est la religion, acte de foi qui, par essence, laisse la porte ouverte au doute? En ce sens, l'auteur a atteint une bonne
synthèse, sur des bases plus saines (pas de Prieuré là-dedans, ni d'Opus Dei condamné de manière univoque!) que celles du "Da Vinci Code", auquel le lecteur du "Signe de
l'Archange" pensera immanquablement. Porté par un style accrocheur malgré quelques imperfections (non, Mr Magoo ne porte pas de lunettes! (p. 219), rythmé en chapitres courts qui font
alterner récits médiévaux et actualité, c'est un thriller qui fonctionne.
A présent, j'ai bien envie de découvrir le tome 1, qui emmène ses lecteurs dans des aventures quasi papales. Affaire à suivre, mais à rebours, donc...
Frédéric
Bovis, Le Signe de l'Archange, Tolège, 2007.
"Le Signe de
l'Archange" chez Alapage.
Frédéric Bovis chez
Alapage.
La Mère Poulard sur mmmm!: ici.