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Belgique ou Grande-Bretagne? France, peut-être? L'écrivain André Baillon (1875-1932), natif
d'Anvers, semble n'avoir guère choisi lorsqu'il a écrit son livre "Zonzon Pépette, fille de Londres". Paru en 1923, ce petit ouvrage savoureux et d'un ton volontiers direct et rapide prend
la forme de scènes de la vie du "milieu" londonien. Les éditions grenobloises "100 pages" ont eu l'excellente idée d'en redonner une fort jolie réédition, enrichie de gravures sur bois de
l'expressionniste wallon Charles Counhaye (1884-1971) et se distinguant par une typographie particulière, délibérément excentrée, parsemée entre autres de petits éclairs et d'italiques
pour signaler les dialogues. Le tout, sous une couverture noire, blanche et argentée, avec une tranche colorée de rouge...
Venons-en au contenu. L'auteur choisit ici de peindre d'une manière crue, non sans truculence, un milieu peu fréquentable qui prend dès lors des allures d'opéra de quat'sous à la Kurt Weill. L'accent est mis sur les personnages, sur leurs interactions, sur leurs caractéristiques aussi: on a ainsi affaire à un boiteux, à un dévot, et à Zonzon Pépette elle-même, prostituée, qui se distingue par un arrière-train remarquable et par son savoir-faire dès qu'il s'agit de décliner le mot "merde" à toutes les sauces. Combien de fois dit-elle, par exemple, "je t'emmerde!" dans "Au Cercle", qui constitue le premier des brefs et nombreux chapitres qui composent ce livre? Tout ce petit monde, s'aime, rit beaucoup en plus d'une occasion, mais se jalouse et se hait tout aussi cordialement.
Les surnoms des personnages, quant à eux (François l'Allumette, Betsy l'Angliche...), rappellent ce qu'a pu faire un Francis Carco, de même que l'usage de l'argot et du français malmené des petites gens, qui éclate dans des dialogues aux phrases courtes qui claquent sec et fleurit le corps du texte, par touches jamais pesantes qui suffisent à transporter le lecteur dans le milieu ainsi dépeint.
"Zonzon Pépette, fille de Londres", avons-nous dit. Londres est, disons-le, un décor peu présent, pour ainsi dire un prétexte, dans ce récit. En particulier, l'auteur ne mentionne guère les lieux hantés par ses personnages. La capitale de l'Angleterre permet tout au plus de créer quelques gags portant sur les Anglais, leur côté excentrique et surtout leur langue imprononçable et leur étrange accent. Zonzon Pépette est toutefois présentée comme une Française, active dans un milieu peuplé de petits truands français expatriés. Pour le lecteur, cela limite le dépaysement.
Et la structure du livre? Les chapitres sont brefs et nombreux, et constituent tous une petite scène de vie (passe, cambriolage, panique, meurtres plus ou moins volontaires), qu'on peut lire de manière autonome ou presque. Le fil conducteur est assez lâche, et relate, on l'a compris, la destinée (vie et mort) de la prostituée Zonzon Pépette - d'abord dans les vicissitudes de son coeur de métier (présenté comme une activité comme une autre: quand faut y aller, faut y aller! et assumer certains risques...), puis dans d'autres activités peu recommandables où elle fait montre d'un caractère bien trempé, même si les hommes, dominants dans son entourage, ne croient pas forcément tout de suite à son cran. Ainsi l'auteur intègre-t-il le métier de la prostitution à un ensemble plus vaste, celui des activités des milieux louches et canailles.
Savoureux ouvrage donc, aux allures expressionnistes et rétro, qui mérite qu'on s'y replonge.
André Baillon, Zonzon Pépette fille de Londres, Grenoble, Cent Pages, 2006.