Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
... ou si peu! Tel
est l'un des enseignements que le lecteur peut tirer des "Constellations du hasard", roman de Valérie Boronad, publié chez Belfond en 2008. Les connaisseurs reconnaîtront certes la
trace de l'emblématique auteur new-yorkais dans ce roman court et tonique; les autres comprendront qu'il s'agit, pour le narrateur, d'un leurre. Un leurre qui, il faut le dire, le fait avancer -
à la manière de ces carottes qu'on agite sous le nez des ânes pour les faire avancer.
Et question ânes, le lecteur est servi. Ou plutôt, question "ravi de la crèche" ou "jeune mec qui ne doute de rien", puisqu'on peut décrire ainsi le narrateur de ce roman. A ce titre,
l'incipit est révélateur, dans sa sobriété très directe: "Je suis parti à la recherche de Paul Auster", affirme le narrateur, tout de go. Le ton est donné: l'auteur, jeune écrivain qui voudrait
bien devenir illustre, s'exprime avec la franchise du néophyte, du gamin totalement décomplexé. Autant dire que dans ce roman, l'optimisme à tout crin, à l'américaine, façon "Yes, we can!"
est de rigueur, quitte à énerver un lecteur avide de davantage de nuances, habitué à se poser davantage de questions. Cela donne au premier chapitre une tonalité fraîche,
faussement naïve, quasi mozartienne.
Le sens du drame s'éveille au chapitre 2, avec le récit enchâssé d'Alejandro Asturias, le poète qui héberge le narrateur à New York. Le lecteur découvre ici qu'Asturias est un poète... Dès lors,
le lecteur est amené à s'interroger: vaut-il mieux, pour le narrateur, rester auprès d'un poète méconnu mais d'une trempe supérieure ou continuer à rechercher Paul Auster, star confirmée,
mais qui s'avèrera peut-être plutôt creux du point de vue humain? Le narrateur entre dans le jeu de son logeur, tout en gardant un oeil sur sa quête initiale. C'est là que s'ouvre le côté
initiatique du roman, dont le message essentiel est que seul un travail opiniâtre permet de venir à bout des difficultés... et d'enrichir celui qui l'accomplit - sans oublier qu'au fond,
l'important, dans une quête, ce n'est pas le but, mais le chemin.
Alejandro Asturias propose donc des heures de secrétariat et de natation à son pupille. Arrêtons-nous un instant sur ce personnage intéressant. De manière classique, c'est un poète âgé et
presque aveugle - l'auteur suggère ainsi qu'à la manière de Tirésias, le poète new-yorkais ne voit plus avec ses yeux, mais voit d'autant mieux avec d'autres sens, son intuition par exemple, ou
une habileté supérieure à connaître les racines de l'humanité. C'est donc de sa clairvoyance que naît son génie, selon l'auteur. Un génie qui paraîtra cependant un peu convenu au lecteur:
Alejandro Asturias a en effet imaginé une histoire épique et poétique de l'humanité, qui démarre par une cosmogonie d'un grandiose un peu convenu, nietzschéen à l'occasion: secrétaire
d'occasion, le narrateur se dit particulièrement impressionné par les pages évoquant le feu et la musique. L'auteur joue cependant avec un procédé intéressant pour faire chauffer le suspens: à
chaque fois que le narrateur va trouver Alejandro Asturias, il se demande s'il est mort - et les apparences donnent à croire à son décès, l'espace d'un instant. Apparences fausses, jusqu'au jour
où Asturias comprendra qu'il convient de s'effacer...
Ainsi se retrouvent, face à face, deux types connus du monde romanesque: le vieux qui a vécu et tire sa poésie de son expérience, suggérant que l'écriture est une activité d'aîné ayant roulé sa
bosse, et le jeune, suffisamment ignorant pour tout oser, qui fait figure d'auteur maudit, sacrifiant ses nuits, sa santé, son énergie pour écrire, à la manière du personnage principal du
"Jeu de
l'Ange" de Carlos Ruiz Zafón - ou de "Chatterton" d'Alfred de
Vigny. Cela, à une différence de taille près: alors que Chatterton finit par se suicider, le narrateur des "Constellations du hasard" sort plus fort, plus sage de son histoire. Une force qui
lui est confirmée, enfin, par l'auteur - qui consent à dévoiler son nom (Luc Kervalec) une seule fois, presque à la fin du récit, comme si avant, il n'avait pas le droit de porter cet
attribut éminemment personnel, qui prend ainsi des allures de couronnement d'un parcours audacieux parfois, instructif toujours. On pourrait dire, de manière bien française, que le narrateur a
fini par "se faire un nom"...
Enervante, alors, cette incroyable succession de hasards positifs qui fait que l'auteur va presque se retrouver en présence de Paul Auster, et va apprendre tout le savoir-être et l'esprit de
finesse requis pour devenir un vrai écrivain? Il est vrai que ce roman a un goût crânement optimiste qui peut énerver. Mais d'autres lecteurs sortiront ragaillardis de cette "Constellation"
miraculeuse, suffisamment exceptionnelle pour justifier qu'on (Paul Auster, Valérie Boronad... ou quelqu'un d'autre?) en fasse un roman. Avant l'heure, Valérie Boronad aurait ainsi inventé un
certain "Yes, we can!" devenu désormais légendaire...
Valérie Boronad, Les Constellations du hasard, Paris, Belfond, 2008.
Il est est également question ici: Julien, Clarabel, Jean-Claude Grosse, Chroniques de l'imaginaire, Cinquième de couverture, Camille et d'autres sans doute, avec des avis contrastés - faites-moi signe si je vous ai oubliés!