Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Un roman lu par Amanda
Meyre, A propos de livres, Audouchoc, Clara, Colin Ducasse, Journal d'une Lectrice, Lecture Emoi, Matoo, Midola, My Lou Book, 1001 pages, Un coin de blog et d'autres encore.
En partenariat avec les Chroniques de la rentrée littéraire, Ulike et Abeline Majorel, que je remercie ici.
Après avoir dressé le portrait de Zelda Fitzgerald dans Alabama Song, l’écrivain français Gilles Leroy s’attaque à un autre élément du contexte américain, plus actuel : l’ouragan Katrina, qui a détruit la Nouvelle-Orléans le 29 août 2005. Cela, à nouveau à travers les yeux d’une femme, Zola Jackson, institutrice retraitée de couleur, à laquelle il donne la parole.
La Nouvelle-Orléans que peint Gilles Leroy dans les 140 pages de Zola Jackson n’est pas, on s’en doute, celle de Poppy Z. Brite dans Alcool : alors que ce dernier roman montre ce que la Nouvelle-Orléans a de plus opulent voire de tapageur, celui de Gilles Leroy a pour décor le quartier populaire de Gentilly, l’un des plus fortement touchés par Katrina. Pas de dramatisation cependant, pas de scène de panique dépeinte à grands renforts d’adjectifs hyperboliques : l’auteur préfère rendre la lourdeur moite et diffuse du climat avant le cataclysme, avant de suggérer les résultats de celui-ci en relatant des choses vues : un cadavre flottant sur l’eau, une vieille femme évacuée dans un réfrigérateur reconverti en barque, etc. Lady, la vieille chienne de Zola Jackson, joue un précieux rôle de révélateur du climat. Et de ce point de vue-là, le titre de la première partie, « Un dimanche de rêve », a tout d’une antithèse.
Cette pesanteur se reflète dans les relations, souvent de rejet, qu’entretiennent les personnages, soit entre eux, soit avec ceux qui se trouvent hors du cadre. Noire, Zola Jackson n’est pas la bienvenue partout, d’autant plus qu’elle a eu, hors mariage, un fils… métis, brillant, trop tôt disparu, homosexuel pour faire bon poids. Métis, Caryl est rejeté des Blancs (qui le trouvent trop bronzé) et des Noirs (qui le trouvent trop clair) ; aurait-il été pleinement accepté à Harvard, où il aurait pu obtenir une charge d’enseignement ? Zola Jackson n’aime pas le petit ami de Caryl… Cela, sans compter, on l’a compris, les relations pas forcément évidentes entre les différentes couches de population. Dans ce contexte, Lady et Zola Jackson constituent un duo indéfectible ; mais lorsque le temps presse et que les moyens sont limités, faut-il encore penser aux animaux domestiques des victimes humaines de l’ouragan ?
Peignant une catastrophe majeure, ce roman renvoie au caractère dérisoire de l’humanité, par plusieurs biais. D’une part, l’auteur rappelle régulièrement que Dieu semble avoir atteint ici ses limites d’action ; l’être suprême est souvent insulté, en particulier par Zola Jackson. Cela fait écho à l’arrivée très attendue de George W. Bush, en hélicoptère bien sûr, car à l’instar de l’aide divine, les secours sont supposés arriver du ciel. D’autre part, les infrastructures locales (le stade, les digues) sont garanties à l’épreuve des terroristes ; mais face aux éléments naturels, elles semblent minables et renvoient à la faiblesse de toute entreprise humaine – et au caractère dérisoire du terrorisme lui-même. Dépêchée au Moyen-Orient, l’armée elle-même semble avoir mieux à faire que d’apporter son secours à ce coin du monde, présenté comme déshérité.
Et l’optimisme qu’on prête volontiers aux Américains, dans tout cela ? Force est de constater qu’il est également présent, malgré la dureté des événements relatés. La « fin provisoire » semble en effet plutôt heureuse pour Lady et Zola Jackson. Cette dernière se répète régulièrement qu’elle s’en sortira : après tout, elle a survécu à une autre tempête, Betsy, avec son fils alors nouveau-né.
Zola Jackson pose donc un regard original, dénué de tout pathos, sur une catastrophe qui a marqué les esprits. De cet événement, l’auteur brosse un tableau tendu, parfois dur, stylistiquement sobre, et toujours nimbé d’optimisme – cet optimisme qui, tel le soleil qui perce à travers les nuages, dispense l’espoir de jours meilleurs pour bientôt.
Le site de l’auteur : http://www.gillesleroy.net.
Gilles Leroy, Zola Jackson, Paris, Gallimard, 2010.