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Lu par Antipode, Black Novel, Gin Fizz, Gridouillis, Hannibal Lecteur, Passion Polar, Sois belle et parle, Test Our Sofa, UPCDP, Un polar, Yv.
Lu pour les défis Premier roman et Thriller.
C'est chez Wrath que j'ai eu connaissance de l'auteur de ce roman - ses interventions et commentaires m'ont mis la puce à l'oreille, et force m'est de constater que la lecture de son premier roman, "Les talons hauts rapprochent les filles du ciel", ne m'a pas déçu. Lauréat du prix du premier roman du festival de Beaune, l'auteur offre en effet un voyage terrifiant et croustillant dans les clubs parisiens à la mode, où sévit paraît-il un tueur en série particulièrement sanguinaire. Le tout est observé à la première personne par le personnage de Fitz, alias John-Fitzgerald.
C'est un personnage bien construit qui mène la barque: l'auteur prend soin de lui donner un nom improbable, et le personnage lui rend ce coup vache en faisant preuve d'autodérision à chaque tournant, le nom "Fitz" devenant un objet récurrent de traits d'esprit. Pour le reste, l'auteur annonce le programme: "trente ans, queutard professionnel, clubbeur impénitent, dealer à ses heures perdues", ainsi se présente Fitz. Il se révèle cohérent avec ce programme, soucieux de placer une fille différente dans son lit chaque nuit (mais on ne saura pas grand-chose des détails de ses exploits, on n'est pas dans un roman érotique!). De quoi le rendre attachant: il a son caractère, il s'y tient avec une franchise certaine, et le lecteur y croit.
Quant à son double statut de clubbeur et de dealer, il constitue les grands axes du récit - le premier en campant le décor général, le deuxième en dictant les relations de Fitz.
Connaît-on vraiment, en effet, le milieu des boîtes de nuit branchées parisiennes? L'auteur invente certes les noms des établissements. Pour le reste, leur peinture est réaliste et crédible, et témoigne, dans le meilleur des cas, d'un certain sens de l'observation, voire d'une expérience vécue. Il n'est qu'à penser, ici, à la description du mode de fonctionnement des physionomistes, plus sélectifs aux heures de grande affluence que lorsque la boîte de nuit est presque vide. Ou, dans un registre voisin, à l'existence de la rue parisienne du Pôle Nord, qui existe vraiment. Qui l'eût cru?
Les relations de Fitz sont dictées par le sexe et la cocaïne... La cocaïne vaut au narrateur des amitiés particulières et ambivalentes, ce que l'auteur souligne: Fitz ne saura jamais si ses amis fidèles le sont "parce que c'est lui, parce que c'est eux" ou parce qu'ils tiennent à leur fournisseur de "soleil". Quant aux attirances sexuelles de Fitz, elles valent au lecteur d'extraordinaires dialogues de drague, à la fois fins et insolents - la vanne à l'état pur.
Et ce serial killer, alors? Euh, ben il tue toutes les jolies filles qu'il séduit - à moins que la vérité ne soit pas si simple? Le narrateur sait entretenir le suspens jusqu'au bout de son récit, et surprendre un tant soit peu au moment de la révélation, que le lecteur sent quand même venir, du moins en partie. D'ici là, le narrateur va être baladé aux quatre coins de Paris et de la banlieue, celle-ci offrant à l'auteur un bon prétexte pour balancer quelques vacheries sur le côté supposément arriéré des lieux qui se trouvent au-delà du périphérique: ont-ils l'eau courante, l'électricité? A ce propos, enfin, le lecteur sera tenté de se demander si la Julie des remerciements, soutien indéfectible, est la trop aimable Julie du roman... d'autant plus que comme le narrateur, l'auteur a d'incroyables yeux bleus. Sur cette base, libre au lecteur d'imaginer des clés.
Il convient de relever, et c'est à l'honneur de l'auteur, que la mise en scène d'un personnage pas du tout policier mais chargé d'enquêter de manière informelle par une vraie gendarmette qui se trouve être son ex impose des manières de procéder particulières et pas toujours très orthodoxes - c'est là l'une des originalités de ce roman, et non des moindres.
Tout cela requiert un registre de langage gouailleur et familier, et force est de constater que l'auteur trouve le ton juste pour faire parler son Fitz. Les jeux de mots fusent, les traits d'esprit amusent, en un feu d'artifice qui fait penser parfois à ce qu'a pu faire un Frédéric Dard. Ainsi le lecteur s'amuse et s'offre l'impression d'écumer les boîtes parisiennes à la mode l'espace d'un roman... si possible un cocktail à la main. Savoureux, n'est-ce pas?
Olivier Gay, Les talons hauts rapprochent les filles du ciel, Paris, Le Masque, 2012.