A l'heure où le Suisse Joseph Deiss accède à la présidence de l'assemblée des Nations Unies, je lui
conseille de lire "L'île du toupet", dernier roman d'Ivan Sigg. Et à vous aussi, amis
visiteurs: ce livre met en scène des milliers de lapins insulaires qui gèrent un astucieux labyrinthe de terriers - et vont jusqu'à se faire élire en bloc à l'ONU, très
démocratiquement, pour sauver le monde. Mais il n'y a pas que ça dans ce livre bourré d'humour insulaire et lagomorphique...
Pour rédiger son roman, l'auteur s'est amplement documenté, touchant à Noël Godin (dit "L'Entarteur") comme à Jiddu Krishnamurti, pour ne citer qu'eux. Le fond du récit est dessiné par le souvenir du naufrage du Drummond Castle au large de la Bretagne, toutefois largement adapté: le navire est ainsi rebaptisé Drumo Kassol; les survivants sont au nombre de quatre, insulaires ou navigateurs - trois hommes et une femme. Et deux lapins cubains... Or, on sait que les lapins portent malheur sur les bateaux, à tel point que prononcer le nom de l'espèce est interdit à bord! Cela crée une distance apparente entre l'espèce humaine et l'espèce lapine - qui vont avoir, chacune à leur échelle, une nombreuse descendance sur l'île du toupet. Et évoluer, chacune à leur manière. Chez les lapins, c'est carrément de la science-fiction...
Les happy few qui ont lu "La Touffe Sublime" ou "L'Annonce faite à Joseph" savent que l'auteur manie le verbe à la perfection dès qu'il s'agit de naviguer dans les hautes eaux de la franche rigolade. Ici, le gag est peut-être moins dense que dans "L'Annonce"; mais il oscille plus amplement entre subtilité et éclats de rire énormes. Fidèle à lui-même, l'auteur use, dans un dosage généreux sans être lourd, de calembours et d'à-peu-près, de néologismes cocasses voire de contrepèteries; il exploite à fond les champs lexicaux des mots (celui du lapin est littéralement asséché, aucun bon mot n'échappe à l'auteur) et les rappels de sonorités invitant à d'autres mots, d'autres points de vue, d'autres tournures. Cet humour reflète la bonne humeur qui se dégage de cet ouvrage tonique.
Se rebaptisant Lourid, l'auteur n'hésite pas à intervenir de temps à autre pour faire part de ses soucis. Est-il le père de Max, onze ans, qui connaît ses premiers émois amoureux avec Mouette, quinze ans? Il paraît être, en tout cas, le mari de la patronne des Nations Unies. Et comme Lourid n'est qu'un alter ego de l'écrivain, il se présente comme ayant signé deux romans, "L'Annonce faite à Bernard" et "La Chatte sublime". Et n'hésite pas à se citer lui-même, sous son vrai nom d'Ivan Sigg, en rappelant discrètement l'existence du roman "La Touffe Sublime", qui a vraiment existé...
... ces éléments poilants et poilus rappellent le tropisme animal récurrent chez l'auteur, qui a également signé une pièce de théâtre intitulée "Animalamlet". L'animal est-il plus malin que l'humain? C'est en tout cas grâce aux lapins que le monde sera sauvé. Ce qui commence dans un esprit de conte en vase clos s'achève ainsi dans un climat de politique-science-fiction - avec un côté rabelaisien pour faire bonne mesure: ce sont bien les pets et matières joyeuses lâchées çà et là par les lagomorphes qui vont sceller le destin de la Terre, après avoir servi de moyen de communication (à l'instar de la télépathie et du mouvement des oreilles). Et selon l'auteur, les lapins ont un sens de l'humour qui leur permet de progresser sans complexe, par exemple en inventant un accélérateur de parties de cul élémentaires...
Volontiers tartignol, "L'île du toupet" dévoile ainsi quelques secrets fascinants de la vie des lapins en leurs terriers, et donne une belle leçon de joie et d'optimisme à ses lecteurs. A lire, à rire... et à méditer également, donc!
Ivan Sigg, L'île du toupet, Paris, Publibook, 2010.
Le blog de l'auteur: http://ivansigg.over-blog.com.