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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Les langues, universalités impossibles

hebergeur image"Espéranto, désespéranto" est un bref ouvrage publié chez Gallimard par Anna Moï en 2006. Sur 66 pages, c'est aussi un témoignage dense, éminemment personnel, sur le rapport que cette écrivain vietnamienne entretient avec les six langues qu'elle maîtrise, et en particulier avec le vietnamien, sa langue maternelle, et le français, une de ses langues d'écriture.

 

Un néologisme en plein titre? Jouant de son plurilinguisme, l'auteur s'autorise un tel jeu: "Etranger et écrivain, on transgressera les frontières sans outrecuidance, en emêlera les pinceaux - voire, le pinceau et la plume - sans être soupçonné d'iconoclastie.", dit-elle en p. 26. C'est que pour l'auteur, la langue n'est qu'un outil, un matériau au service d'une expression. Anna Moï relève du reste avec pertinence les connotations très différentes que peuvent couvrir, par-delà leur sens premier, des mots de sens voisin dans deux langues distinctes - cela, à l'exemple du verbe "déambuler", du foisonnement d'idées particulières qu'il évoque en vietnamien et de sa sobriété conceptuelle en français. De tels décalages pourraient inciter l'auteur à choisir sa langue d'écriture en fonction du message qu'elle veut faire passer.

 

Il y a cependant, pour elle, une langue plus universelle que les six qu'elle pratique: celle de la musique et, singulièrement, du chant. Ayant compris le formidable véhicule émotionnel qu'elle constitue, elle s'est mise à travailler sa voix et à faire pleurer son auditoire en chantant. Tel est le sens qu'elle donne au mot "espéranto" - un espéranto plus universel que la langue créée par Ludwig Zamenhof ou que l'anglais qu'on baragouine partout, si universel qu'il n'est pas nécessaire de comprendre les paroles pour être ému en tant qu'auditeur.

 

Universel, cet espéranto s'oppose au désespéranto, que l'auteur présente, au terme de sa réflexion, comme une langue qui serait excluante, argot créé à l'usage d'un groupe qui entend ne pas être compris des tiers non autorisés. Elle mentionne ici, à titre d'exemple, le langage des cités, dépeint comme une langue clivante de non-communication et de repli.

 

Le propos est émaillé d'éléments tirés de l'histoire du Viêt-Nam, des éléments qui dictent l'évolution d'une langue; elle mentionne les trois formes du vietnamien et retrace de manière succincte les grands moments de l'histoire littéraire du pays et de son rejet progressif d'un confucianisme et d'une influence chinoise qui ont modelé les conditions de vie et les mentalités du Viêt-Nam. Cela, sans parler de l'évolution des noms des personnes au cours d'une vie, voire du jeu des pseudonymes, auquel l'auteur elle-même se prête! Le statut du français au Viêt-Nam est lui-même abordé. En parlant de français, ce n'est qu'assez tard que l'auteur en vient au sous-titre de son livre: "La francophonie sans les Français", donnant à voir, par cette idée, un clivage entre la France et les Autres - et suggérant une forme de hiérarchisation, les francophones non français étant par exemple, selon l'auteur, peu présents dans les manuels de littérature. Reste que le portrait qu'elle dresse de cette francophonie hors de France est enviable: "A l'étranger, la francophonie sans les Français est non pas un mythe, mais une réalité jubilatoire, généreuse, vivante." (p. 63)

 

La francophonie est ainsi perçue par une actrice du monde littéraire, qui a pris l'habitude de dire le monde en français. Ce n'est pas sa langue maternelle? Peu importe: "On écrit toujours dans une langue étrangère, fût-elle sa langue maternelle.", dit-elle, formulant une idée récurrente de ce volume. L'écrivain saura se souvenir de ce message lorsqu'il prendra la plume et réinventera, phrase après phrase, son propre langage pour dire un monde qui lui appartient et qu'il entend partager.

 

Anna Moï, Espéranto, désespéranto, Paris, Gallimard. 2006.

 

 

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A
<br /> On oublie trop souvent la francophonie des pays asiatiques.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Cela est vrai!<br /> <br /> <br /> <br />