Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Dans la série des livres
anciens et méconnus, en voici un qui a plus de vingt ans puisqu'il a paru en 1987 dans sa version française, et en 1985 dans sa version
allemande. On aimerait pouvoir se dire que "L'aide qui tue" de Brigitte Erler a vieilli, que l'aide au développement ne se conçoit plus de la manière décrite dans cet ouvrage. Mais le fait
qu'il soit toujours vendu dans sa version allemande (il en est à sa quatorzième édition, et se vend toujours) et le fait que d'autres ouvrages abordent les mêmes thématiques (par
exemple "L'Aide fatale" de Dambisa Moyo, paru chez Albin Michel il y a quelques semaines seulement) permet d'en douter.
Ancienne coopérante, ancienne députée socialiste en République fédérale d'Allemagne, Brigitte Erler propose rien de moins que la suppression de l'aide au développement: "l'aide au développement
nuit à tous ceux à qui elle est censée servir, pays ou individus. Il faut donc y mettre immédiatement fin", dit-elle en page 8 de l'édition française, parue aux Editions d'En Bas. La
démonstration de l'auteur s'appuie sur son expérience personnelle au Bangladesh, où elle a effectué sa dernière mission. Pas d'analyse scientifique ou de grands appareils théoriques dans ce petit
livre, mais rien que des choses vues, sur le terrain ou dans les bureaux de Bonn. Brigitte Erler a touché à tout dans le cadre de sa mission: élevage bovin, problématiques de l'eau, formation,
contraception, attitude du personnel allemand et des populations bangladeshis. Le ton est celui du témoignage personnel, relevé d'une ironie féroce qui ne glorifie pas les acteurs de l'aide au
développement.
Les errements de l'aide au développement pratiquée dans les années 1983 par l'Allemagne se retrouvent à plusieurs niveaux. Brigitte Erler relève d'abord l'imposition de méthodes occidentales
inadaptées à la réalité locale. On note par exemple l'exportation de vaches allemandes à haut rendement au Bangladesh. Pratique... mais ces bêtes sont plus fragiles que les espèces indigènes, et
imposent donc l'achat de médicaments hors de prix. Sans compter qu'il faut les nourrir, et qu'elles sont particulièrement gourmandes... Le paysan se retrouve donc obligé de s'affamer pour
nourrir un bovin. Les effets collatéraux (par exemple ceux de l'empoisonnement des étangs à poissons) sont également mentionnés parce qu'on les oublie trop souvent. Trop souvent également,
l'Occident arrive avec des solutions toutes prêtes à des problèmes déjà résolus par les populations locales... voire créatrices de nouvelles difficultés ou de dépendances non voulues. Enfin, les
exemples tendent à démontrer que l'aide profite surtout aux riches, au Bangladesh comme en Allemagne (l'entreprise Siemens, par exemple, ou Schering, qui produit des contraceptifs dont l'usage
s'avère problématique sur place alors qu'il est évident sous nos latitudes).
On le voit, la charge est lourde. L'auteur brosse ici un tableau dense de ce qui ne va pas - c'est-à-dire tout, à l'en croire. Le parti pris de témoigner de choses vues, de manière brute, a
l'avantage de créer un choc chez le lecteur curieux de savoir où va l'argent de ses impôts (p. 9); il est dommage, toutefois, que Brigitte Erler n'ébauche guère de solutions. Un travail de titan
pour un politologue courageux? Au lecteur de juger.
Brigitte Erler, L'aide qui tue, Lausanne, Editions d'En Bas, 1987, traduction d'Odile Chazerand.
Le site du livre: