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Roman palestinien, lu par Actu-du-Noir, Alain, Blocoli, Des cases à vents, Yueyin.
Il y a en Espagne tant d'hommes qui se prénomment Jésus. Et en Palestine, il y a un peu plus de deux mille ans, un autre Jésus, fils de charpentier issu de la maison de David, s'apprêtait à changer la face du monde. L'écrivain espagnol Eduardo Mendoza, connu pour ses peintures hilarantes de Barcelone ("La Ville des prodiges"), a décidé de reprendre tout cela à son compte pour en faire un roman à l'humour ironique, glacial et sophistiqué et à l'érudition puissante, à la fois roman policier, gros mélange et évangile apocryphe et irrévérencieux. Son titre? "Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus".
Polar au temps de Jésus? L'auteur surfe ici sur une certaine vogue du roman policier historique, mis à toutes les époques et à toutes les sauces, y compris à la sauce péplum si l'on pense à Steven Saylor. L'auteur maîtrise les ficelles du genre: l'intelligence (oh, quand même bien relative) des personnages supplée au faible avancement de la technologie, ce que l'auteur traduit par de nombreux dialogues, parfois diserts (de véritables périodes émanent ainsi de la bouche de l'esthète Philippe) pour faire avancer l'histoire. Celle-ci bénéficie par ailleurs des coups de pouce fort à propos de Fortune, déesse versatile et facétieuse mais qui porte bien son nom. Enfin, la structure du récit, et en particulier son final où Flatus, enquêteur, rassemble tout le monde pour faire éclater la vérité, n'est pas sans évoquer une certaine Agatha Christie.
Cela dit, l'auteur détourne le genre de la fresque antique pour en faire un pastiche aux parfums burlesques. Le personnage principal porte, comme il se doit à l'époque, un surnom (cognomen) qui lui colle à la peau. Scientifique passionné par les eaux, Pomponius Flatus goûte en effet à tout ce qui coule, ce qui lui vaut de fréquentes flatulences et coliques, d'autant plus gênantes qu'elles surviennent au mauvais moment. Quant aux personnages, tous semblent avoir une sexualité étrange et parfois pénétrante... l'auteur trompe cependant son lecteur en n'exploitant systématiquement pas le filon qu'il suggère ainsi. Même si l'on sourit volontiers, l'humour n'est pas aussi ravageur que dans certains écrits du même auteur, comme si celui-ci avait souhaité donner une certaine préférence à l'érudition.
Erudition, ai-je dit... l'auteur a l'honnêteté de citer ses nombreuses sources en fin de récit: Pline l'Ancien, Lucrèce, les Evangiles officiels et apocryphes, etc. Son recours à une forme épistolaire plus ou moins lâche (le narrateur écrit à un certain Fabius, qu'il oublie parfois et dont le lecteur ne sait pas grand-chose) suggère indirectement l'art d'un certain Sénèque. D'un point de vue stylistique, l'auteur use et abuse des épithètes homériques, ce qui suffit à donner au récit la saveur d'une bonne grosse version latine améliorée. Les familiers de la mythologie antique et les aficionados de la messe reconnaîtront, page après page, des épisodes et personnages tout droit sortis des Evangiles. L'auteur redistribue cependant les cartes avec adresse: c'est par exemple Joseph, père d'un certain Jésus, qui est condamné à la crucifixion pour un crime qu'il n'a pas commis. Jésus, quant à lui, est présenté comme un garçon astucieux et sympa mais un peu bizarre, auquel on recommandera de ne surtout pas étudier la religion... Enfin, la difficile cohabitation entre Romains, Juifs, Arabes et autres peuples est plutôt bien peinte, et rappelle parfois certains épisodes plus actuels.
Avec leur logique parfois tortueuse, les personnages sont fidèles à ce que l'auteur est capable de construire en la matière - qu'on pense aux êtres improbables qui traversent "Le dernier voyage d'Horatio II". On trouve ainsi des mendiants qui marchandent des renseignements avant de se perdre dans des discours dignes de Philippulus le Prophète mais parfaitement inutiles à l'enquête, des dignitaires désemparés face à la foule en délire, de bons larrons au pedigree étrange, et même un avatar de Barrabas déguisé en riche citoyen nommé Epulon. Il y a de quoi sourire au fil des pages pince-sans-rire de ce roman, à lire précisément en cette période d'après-Noël.
Eduardo Mendoza, Les aventures miraculeuse de Pomponius Flatus, Paris, Seuil, 2009, traduction de François Maspero.