Peut-être une grosse
nouvelle, ou alors un petit roman, en tout cas le Prix de la Nouvelle 2010 de l'Académie française: c'est ainsi que se présente "La Photographe", dernier opus de Christophe Ferré. Paru aux
éditions du Moteur, c'est un livre de deux fois 85 pages publié tout en longueur, rehaussé d'une belle photo de l'auteur, signée Harcourt. Le sujet? Une photographe française installée à New York
tombe amoureuse de son modèle, un Latino qui travaille comme sommelier dans le restaurant de prestige qui se trouve au sommet de la tour nord du World Trade Center. Cela, un certain 10 septembre
2001.
New York est ici plus qu'un élément de décor, c'est un acteur à part entière. L'auteur parvient à lui donner une vie propre en convoquant avec succès plusieurs éléments. Il y a d'abord les longues phrases du début du récit, longues comme le sont les gratte-ciel de Manhattan, longues comme peuvent l'être les avenues. Les odeurs sont omniprésentes, qu'il s'agisse des fumets des hot-dogs (perçus comme typiquement locaux) ou, plus tard, des odeurs innommables émanant de la catastrophe mondiale. Face à New York, le regard est également présent. On pense à l'objectif de la photographe qui mitraille, utilisant son téléobjectif comme ultime contact visuel avec son amant. On pense aussi au monde entier (détail vertigineux en p. 83 et suivantes, de Paris à Beaugency en passant par partout ailleurs) qui découvre quasiment en direct la chute des deux tours, à la manière d'un voyeur - un voyeur non impliqué mais omniprésent dans le propos de l'auteur, et dont le coup d'oeil est doublé par celui, forcément différent, de l'amant (qui n'a rien vu, de son restaurant) et de la photographe (qui voit un avion voler bizarrement bas avant de pressentir, puis de réaliser, l'ampleur des dégâts).
Voyeur également, le regard porté par la photographe sur son amant - d'abord le regard professionnel qu'elle peut porter sur un homme dont elle a perçu la perfection physique. Puis ce regard qui vaut des descriptions sensuelles et détaillées, au rythme travaillé - soudain, les phrases deviennent plus courtes au gré des étreintes répétées (comme se répètent les mots, les actes, les baisers), plus haletantes aussi. Et plus détaillées, décrivant la sueur, les regards.
Confronter les débuts d'un amour et une catastrophe qui va tout anéantir permet enfin à l'auteur de créer un énorme contraste, attendu certes, mais qui ne perd rien de sa force: la première partie de l'ouvrage dépeint la situation idyllique d'un amour fou: au départ, tout semble ouvert à ce nouveau couple d'amants. La passion étouffe tout, envahit tout. Puis c'est la fumée qui, en sinistre écho, envahit tout et rend aveugle (comme l'amour?), signe de l'événement tragique qui conclut le livre - non sans rêves complètement fous auxquels la photographe veut croire, jusqu'au bout: retourner en Europe, réserver un restaurant pour le soir même...
La photographe, le Latino... des personnages sans nom? Des personnages sans voix non plus, ou presque - ils ne se mettent à dialoguer que par téléphone, lui dans sa tour, elle en bas, impuissante. A la fois fort incarnés dans l'étreinte et ainsi dépourvus d'identité, on les découvre suffisamment effacés pour permettre une certaine identification. Au fond, ils auraient pu être chacun d'entre nous, tant nous sommes peu de chose (même plus un nom, dans certaines circonstances), tant il est vrai qu'un cheveu sépare la vie et la mort - simplement être au mauvais endroit au mauvais moment...
Christophe Ferré, La Photographe, Paris, Editions du Moteur, 2010.
Le site de l'éditeur: http://www.leseditionsdumoteur.fr - que je remercie au passage pour m'avoir fait parvenir cet ouvrage.