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Lorsqu'un livre s'intitule "Nueva Königsberg", le lecteur est supposé
savoir à quoi s'attendre: une grosse louche d'Emmanuel Kant... Il sait donc dans quoi il va s'immerger lorsqu'il ouvre le roman que Paul Vacca a publié aux éditions Philippe Rey en mai 2009. Ce
qu'il ignore, en revanche, c'est dans quelles eaux l'auteur va le promener...
"Nueva Königsberg" se fonde sur quelques ingrédients simples, en effet, et plus ou moins sérieux. Dans le genre sérieux, on trouve Emmanuel Kant et sa biographie. Le bonhomme est connu pour sa
philosophie novatrice, pour ses promenades et pour l'impératif de chasteté qu'il s'est imposé durant toute sa vie. Dans le genre sérieux mais plus improbable, on trouve le Paraguay, pays
d'immigration comme on le sait. Et dans le genre franchement canularesque, enfin, on trouve le philosophe français Jean-Baptiste Botul, tenant de la tradition orale, à telle enseigne qu'il
n'a rien légué à l'humanité... pas le moindre écrit - pas la moindre existence physique, même. A l'instar d'Hégésippe Simon (précurseur de la démocratie, né à Poil) ou du
compositeur Charles Brugnon (compositeur de "L'Essaim des lavandières), en effet, Jean-Baptiste Botul n'a jamais existé...
... si ce n'est dans l'imagination d'une poignée de mordus. Paul Vacca a choisi, avec "Nueva Königsberg", d'ajouter un épisode à la biographie du plus célèbre des philosophes imaginaires de
France. Naturellement, l'écrivain brouille les pistes dès le départ: alors que d'habitude, on décrète que tout ce qui est dans le roman est le fruit du hasard, Paul Vacca précise que seul
Jean-Baptiste Botul, père du botulisme, né et mort dans son bled comme ce fut le cas pour Emmanuel Kant, n'est pas inventé. Ce qui est vrai est faux, et réciproquement... alors, le Paraguay
existe-t-il vraiment? Pourquoi lui, au fond? "Et pourquoi pas?", rétorque ce roman.
"Nueva Königsberg" utilise pour décors une cité construite selon la Königsberg qu'a pu connaître Emmanuel Kant, avec ses sept ponts et ses habitants. Comme tout le monde adopte les us et coutumes
de la fin du dix-huitième siècle, on imagine que le lecteur se trouve plongé dans une ambiance qui rappelle la société amish, qui prospère aujourd'hui encore quelques parallèles plus au
nord. Les habitants de Nueva Königsberg, kantiens par religion, vivent selon le mode de vie du philosophe, ce qui leur pose un grave problème existentiel: sachant qu'Emmanuel Kant est
resté chaste toute sa vie, faut-il vivre sans forniquer (et condamner la colonie, au nom du respect du Maître) ou en pratiquant l'acte sexuel (ce qui assurerait la pérennité de la colonie mais
ruinerait l'esprit du père fondateur)? C'est là que Jean-Baptiste Botul intervient... et cherche à débrouiller l'écheveau que constitue la polysémie du mot "chose": "chose en soi" chère aux
philosophes, "chose" comme périphrase pour quelque chose de plus jouissif.
Rapprochant sans honte l'auteur de la "Métaphysique du mou" et certaines humaines raideurs caractéristiques, l'auteur ne recule pas devant le graveleux, profitant de l'équanimité
de la société kantienne pour la mettre à l'épreuve de quelques galipettes ne figurant pas au catalogue. Tenez, une question au hasard, amis lecteurs: pourquoi, précisément en page 69 de l'édition
originale, peut-on lire: "Décidément, ce Sébastien est un membre actif!"?
Sur ce fond parfaitement improbable, l'auteur greffe une bonne grosse histoire d'amour entre Sébastien, homme de main de Botul, et l'institutrice de Nueva Königsberg. Tout d'un coup, cela donne
au récit l'arôme inimitable des comédies sentimentales à l'américaine, où deux êtres que tout semble séparer sont soudain réunis. Sébastien fait figure d'observateur, voire d'ethnographe; face à
lui, Sofia (prénom qui signifie "la sagesse") lutte entre ses certitudes kantiennes (eh oui! elle vit selon les préceptes du maître!) et ce que son coeur commande. Là, l'auteur, en s'aidant de
références cinématographiques bien placées ("Casablanca", entre autres), fait donner les violons, de préférence dans un registre fortissimo appassionato, voire harlequinado...
Paul Vacca plonge ainsi son lectorat dans un univers loufoque créé à partir d'une des philosophies les plus sérieuses qui soit. Sa prose est légère (ça change un peu de Kant, franchement...),
elle file au gré de chapitres brefs et nettement subdivisés qui font qu'aucun lecteur ne devrait avoir d'excuse pour découvrir les facettes les plus inconnues
d'Emmanuel Kant.
Paul Vacca, Nueva Königsberg, Paris, Philippe Rey, 2009.
On en parle auss ici: Clarabel, Amanda Meyre, Yv, Les routes de l'imaginaire, Lily, A propos de livres, Blog superflu, Sylire, Mot-à-mots, Florinette, et sans doute d'autres lectrices et lecteurs...!
Au sujet du prix Botul: http://botul.free.fr/