Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Lu par Bouquinovore, Jules, La Fleur des
mots, La Livrophile.
Merci à Claire Thévenau et aux éditions Albin Michel pour l'envoi.
"On n'est pas sérieux quand on a quarante ans", dit le bandeau qui entoure "Je nous trouve beaux", le dernier roman de Cyril Montana. Ecrit à la première personne, ce roman fort aéré aux allures de récit sur la recherche de repères s'avère très vivant et dynamique, ce qui fait qu'on le dévore.
Roman, vraiment? Le lecteur ne va pas découvrir ici une histoire bien structurée avec un début, un milieu et un dénouement au sens classique. Au contraire, ce sont surtout des instants de vie qu'il va lire, instants qui dessinent le portrait paradoxal d'un homme accompli, qui mène bien sa barque, tout en paraissant singulièrement immature par certains aspects. Cela commence très fort avec un premier chapitre consacré à un séjour incognito chez les francs-maçons. Le caractère extérieur du narrateur (qui n'est pas initié et n'aurait donc pas dû être là) constitue une démystification en règle de cette société discrète: comme le décorum qu'il découvre là n'a pas de sens pour lui, le narrateur peut en débattre librement et ne se prive pas d'en parler en termes dépréciatifs, renvoyant de la société maçonnique dépeinte l'image d'une bande de joyeux fêtards.
Scènes de vie donc. L'adultère est présent, et dans le cas de l'affaire Vanessa, le lecteur est mis en présence d'un fiasco vaudevillesque - un côté vaudeville pleinement assumé, le côté canaille en plus. Au fil des pages, affleure du reste la question de savoir ce qu'est vraiment tromper: est-ce une affaire de coeur ou une question physique? Et jusqu'où peut-on aller sans qu'on puisse dire qu'on trompe sa conjointe? Manque de repères, pourrait-on penser.
Cela, non sans raison: issu d'un milieu soixante-huitard dépeint selon tous les clichés du genre (en particulier la permissivité), le narrateur se trouve en recherche constante de repères solides tels que le scoutisme peut en donner: des règles, un uniforme, des grades. Et à quarante ans, il se retrouve élément ordinaire, parfaitement consentant, du système consumériste qui nous entoure. Cela dit, le personnage adulte dépeint s'avère désireux d'exercer une certaine autorité, sans forcément savoir comment procéder - que l'on pense à sa tentation, récurrente, de mettre une claque à l'un ou l'autre de ses enfants. Il ne passera jamais à l'acte...
... les enfants sont cependant le prétexte à la rédaction de scènes pleines de tendresse, qui tranchent avec d'autres scènes plus canailles, en particulier lorsqu'il est question des collègues comme Michel, le requin de l'immobilier. Les chapitres "La grande cabane" ou "La fugue" sont à ce titre fort réussis, dépeignant des scènes où le narrateur joue, à sa manière, son rôle de père, parfois perdu (que faire lorsqu'un enfant fugue sans fuguer?), parfois disposé à négocier à l'heure du sommeil, dont les rituels, tout comme d'ailleurs le poulet grillé du dimanche, semblent entrer dans la dynamique de recherche de repères du narrateur. Une recherche qui n'est pas sans rappeler celle du lecteur, parfois, lorsqu'il affronte un monde qui paraît, à certains égards, avoir perdu les siens.
Cyril Montana, Je nous trouve beaux, Paris, Albin Michel, 2013.