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Ecrivaine polyvalente (elle écrit également des romans et des poèmes), la Suissesse d'origine française Françoise Roubaudi
signe avec "Un plaisir acide et méchant" un recueil de nouvelles qui porte bien son titre. Il y a en effet un côté jouissif à voir les personnages mis en scène par l'auteur se faire tourmenter ou
sombrer doucement dans la folie, victime d'obsessions intérieures ou de situations extérieures étranges. Et pour souligner le côté corrosif des textes, l'auteur utilise volontiers l'adjectif
"acide" - signe que ça décape, mine de rien.
La première nouvelle, "Mur" est emblématique de ce qui attend le lecteur. La situation initiale est simple: une femme se réveille le matin, et découvre que sa maison est entièrement entourée d'un mur infranchissable qu'elle seule semble percevoir comme neuf. Comment l'auteur va-t-elle s'en sortir? Le lecteur s'interroge tout au long des quelques pages rapides et sobres de la nouvelle. Plus tard, la recette est un peu semblable: le plus souvent, l'auteur met en scène un seul personnage, aux prises avec une situation obsessionnelle qui va le mener à bout.
Dans le genre "mener à bout", la nouvelle "Peau" est également emblématique: que faire avec cette vilaine tache cutanée qui ne veut pas partir? L'auteur joue ici la carte du crescendo de tension et de rythme pour décrire l'emballement mental de son personnage. Et si l'auteur s'intéresse à la peau, c'est qu'elle se passionne aussi pour des approches sensuelles. On ne peut, par exemple, pas rester insensible à l'érotisme insidieux qui baigne toute la nouvelle "Chaussure à son pied".
Et l'évolution des situations a un côté pervers, dans la mesure où celles-ci semblent perçues avec résignation, voire avec un plaisir quasi masochiste par les personnages, à l'exemple de la femme qui se trouve au centre de "Mur". Or, les situations ne sont pas toujours drôles: séparations, transformation physique ("L'art d'accommoder les restes", réinterprétation étonnante de la chirurgie esthétique), meurtre même: comment ne pas faire le lien entre le mode opératoire de l'assassin (un mari trompé) et les pièges qui brisent le dos des souris dans la nouvelle "Joug"?
On l'a constaté, les titres sont le plus souvent courts. Ils annoncent une prose sobre dont le dépouillement laisse apparaître tout le côté grinçant des récits. Acide, méchant, un rien sadique peut-être? Ce recueil de brèves nouvelles se savoure avec jouissance, à petites doses exquises.
Françoise Roubaudi, Un plaisir acide et méchant, Genève, Encre Fraîche, 2003.
Lu dans le cadre du Défi Littérature Suisse.