A l'heure où l'écrivain suisse Catherine Gaillard-Sarron publie son deuxième recueil de nouvelles, "Des taureaux et des femmes", il était grand temps que je me plonge dans son
premier recueil, "Un fauteuil pour trois", qui hantait ma pile à lire depuis pas mal de temps. Et je ne regrette pas mes heures de lecture: au gré de quelque 174 pages, c'est tout le genre
fantastique qu'elle revisite, s'appropriant avec adresse les ressorts du genre et les nimbant d'une once de tendresse et d'esprit qui leur donne toute leur saveur.
C'est le plus souvent en se concentrant sur le point de vue d'un seul personnage que ses nouvelles se déroulent. Ce personnage peut être présenté seul et isolé, comme c'est le cas dans "La dernière garde", où est peinte la fin étrange d'une vieille dame, à la veille de ses 80 ans - nouvelle où le surréel vient se substituer tout en douceur au réel afin de suggérer le grand départ, une nuit inquiétante en forêt. Incertitude, lieux étranges, peur diffuse: tout est là pour constituer une atmosphère fantastique.
La forêt est aussi le décor de "L'Odeur", qui, du fait de son rythme haletant, a quelque chose qui rappelle Stephen King. L'auteur a bien su percevoir que souvent, les éléments négatifs sont, pour tout un chacun, associés à une odeur. Ici, elle est présentée comme indéfinissable et obsédante - la mort, peut-être? Cette base bien trouvée sert de substrat à un flash-back familial, puis à la hantise de tout un chacun: avoir un accident, seul, en forêt...
De la sensualité, il y en a aussi - et à ce titre, la nouvelle "Un fauteuil pour trois" est emblématique. Doit-on sourire à cette aventure? Elle est en tout cas énorme, entre ce fauteuil qui prend un malicieux plaisir à masser ceux qui s'y asseoient avant de leur faire un sort. L'humour noir est ici au rendez-vous, entre outrances et horreur, entre Eros et Thanatos.
Humour également dans un petit récit intitulé "Télé à chat!" qui, sous des dehors cocasses, donne à réfléchir à nos postures lorsque nous regardons la télévision et, plus largement, à l'importance parfois surfaite que nous donnons à ce que propose cette folle du logis. Sourires qui naissent également des jeux de mots parfois potaches émanant de la désignation de l'animal. Ce qui rappelle la funeste destinée du lapin "hamlétien" de "Courir ou ne pas courir?" (qui, à titre personnel, me rappelle quelques bestioles à longues oreilles vues chez Ivan Sigg...). Ou, dans un registre plus grave, la dramatique destinée, relatée à traits trépidants, d'une espèce en voie de disparition relative dans la nouvelle à chute "Sans sommation".
Il faudrait aussi relever la belle histoire d'amour de "Songe d'une journée d'été", nimbée de merveilleux, ou les dialogues avec Dieu (vraiment?) de "Le passe-pensées" et d'autres petits bijoux encore. Les dix récits du recueil sont portés par un style classique, soigné, empreint de tendresse et riche en clins d'oeil aux personnages, à la Suisse romande et à d'autres régions du globe. Enrichi d'une postface de Pierre-Yves Lador, ce petit livre vaut bien une lecture!
Catherine Gaillard-Sarron, Un fauteuil pour trois, Lausanne, Plaisir de lire, 2009.