Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
De la vraie lecture de vacances, rafraîchissante, riche en aventures, dramatique, complètement folle, parfois héroïque,
instructive souvent, et profondément humaine quand même. Pensez-vous que je vais vous parler du dernier pavé d'Umberto Eco? Non. Certes, le propos de "Le pire voyage au monde", d'Apsley
Cherry-Garrard, devrait rafraîchir vos vacances de plage. Mais il a quelque chose de plus sérieux, de plus profond, qui devrait séduire le lecteur aguerri qui ne se contente pas du premier
volume venu. Peut-être même vous fera-t-il trouver bien doux d'éventuels impondérables de vacances (valises perdues, coups d'Etat inopinés, trains en retard, grèves, etc.)
De quoi s'agit-il? "Le pire voyage au monde" relate l'épopée dramatique de l'expédition scientifique de Robert Falcon Scott en Antarctique, entre 1910 et 1913. Il a été rédigé par Apsley
Cherry-Garrard, embarqué comme aide-scientifique alors que rien ne l'y prédisposait. Une petite dizaine d'années après les faits, Cherry-Garrard est prié d'écrire ce qui deviendra ce classique de
la littérature de voyage, afin de relater l'aventure et de produire un document utile aux expéditions futures.
L'équipée aura joué de malchance de bout en bout, et aura souffert de choix techniques malheureux. Côté malchance, c'est la météo qui s'en mêle, capricieuse, jamais comme on la souhaiterait. Le
lecteur notera que là-dedans, on se retrouve avec des pointes à moins soixante degrés; une température de 1,5°C paraît chaude, trop même puisqu'elle amollit la neige, rendant problématique le
transport en traîneau. Traîneau? Cela m'amène aux questions techniques, bien détaillées: l'auteur évoque les déboires des traîneaux à moteur et des véhicules à chenilles, et les aléas de la
traction humaine pour acheminer le matériel. Cela, sans oublier la comparaison des humeurs variables des chiens, mulets et poneys successivement utilisés pour les déplacements. A titre de
comparaison, Roald Amundsen a emprunté un chemin plus efficace et recouru à la traction par chiens, ce qui lui a permis de faire la différence dans la course au Pôle Sud.
Ce témoignage n'oublie pas l'humain, cependant, et Apsley Cherry-Garrard est un excellent portraitiste de ses semblables. Chacun des membres de l'équipe est présenté de manière très personnelle,
parfois au moyen d'anecdotes. Il recrée également une ambiance présentée comme fraternelle et très urbaine, comme il sied à des gentlemen qui n'ont jamais renoncé à une tasse de thé. Cela, sans
oublier l'atmosphère des conférences organisées pour passer le temps dans les étendues solitaires et inhospitalières de l'Antarctique.
Inhospitalières, en effet... le lecteur doit s'attendre à lire ici une sorte de huis clos sans figurants autres que les pionniers. La faune est décrite avec soin; mais elle n'occupe pas toujours
la même présence. Place donc à des décors rendus impressionnants par la verve de l'auteur, qui en analyse également les réactions: la glace vit, bouge, se déplace, donnant du fil à retordre à des
voyageurs sans cesse obligés de remettre en question les itinéraires choisis.
Enfin, pour ne rien gâcher, l'ouvrage est illustré des photographies de l'expédition, ainsi que d'aquarelles de Wilson, membre de l'équipe, décédé lors de son retour du Pôle Sud, plus ou moins en
même temps que Robert Falcon Scott. Tous sont restés bloqués par le blizzard, à court de provisions, alors que l'entrepôt le plus proche se trouvait à une vingtaine de kilomètres... soit une
journée de parcours dans de bonnes conditions.