Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Il est des ouvrages que
l'on trouve tout par hasard, un peu comme si l'on venait d'ouvrir une pochette surprise: peu de monde en parle, ils passent totalement inaperçus, et au détour
d'un chemin, on les attrape au vol. "Kathy", de Patrice Juiff, est de ceux-là. L'homme est connu comme comédien, certes; il a publié un autre roman, chez Albin Michel s'il vous plaît; mais avant
de tomber tout par hasard sur "Kathy", je n'en avais jamais entendu parler. Pourtant, ça mérite d'être évoqué. C'est pourquoi je commets un billet là-dessus aujourd'hui.
Qu'en dire, en effet? C'est une prose qui fonctionne, c'est le moins qu'on puisse dire. L'auteur accroche ses lecteurs en lui soumettant, l'une après l'autre, des petites phrases qui donnent
envie d'en savoir plus, à petites doses, et font oublier la longueur des paragraphes et la rareté des dialogues. C'est qu'on ne parle pas beaucoup dans la famille biologique de Kathy, une famille
qu'elle retrouve après avoir vécu quinze ans dans une famille d'adoption. Pensez donc: elle se retrouve dans un univers sordide où la violence règne, où tout le monde fume et boit généreusement,
et couche de manière pour le moins libérée. Le tout, un peu en marge de la société, c'est le moins qu'on puisse dire. A Kathy de trouver sa place dans cette noce à Thomas!
Cette manière de procéder permet de créer les portraits psychologiques d'une jolie brochette de personnages, à l'instar de Ray, paterfamilias aux airs de pitbull, de Lazlo le métèque, juste
toléré parce qu'il est rentable, d'Adèle, malade et mourante, et de sa fille Pam. Plusieurs basculements émaillent ce récit: l'arrivée de Kathy, d'abord, pleine d'illusions qu'elle ne perdra
jamais tout à fait, chez sa famille. Puis l'assèchement des économies de Kathy, qui la font descendre du statut d'invitée "princesse" à celui de bonniche corvéable et utilisable à merci;
puis l'épreuve de l'euthanasie d'Adèle, pratiquée par Kathy elle-même, qui fait éclater ce petit monde. Kathy n'aura aucun problème à trouver sa place parmi les hommes de la famille, ni auprès
d'Adèle, ni auprès de Sol, la fille du ménage; mais sa mère, qui avait pris sur elle de la placer ailleurs, résiste.
On se retrouve donc avec une figure christique, ou du moins hagiographique, celle de Kathy, qu'aucun événement, aucune tuile ne fait vaciller dans sa détermination à trouver sa place dans le
ménage - et que rien ne conduit à se révolter, ni les coups, ni les viols incestueux, ni les travaux ingrats. Heureuse d'être là, d'être punie, violée, allant jusqu'à s'autoflageller à
l'occasion. Ce n'est cependant pas elle qui sera sacrifiée, mais tous les hommes de la maisonnée, tenants de la violence et de la magouille. En charge de Pam, Kathy finira par retrouver sa mère,
qui acceptera d'entendre ses sentiments dans la situation paroxystique, extrême, qui conclut ce roman. La femme comme seule survivante une fois que tout sera achevé? Dites-moi ce que vous en
pensez.
Allez-y donc... et bonne lecture! A noter, encore, que l'auteur déclare s'être inspiré de faits réels, survenus dans les années 2003.
Patrice Juiff, Kathy, Albin Michel, 2006.