Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Lu par Francis Richard.
Le blog de l'auteur, le site de l'éditeur.
Tout commence lentement dans "Les ordres de grandeur", deuxième roman de Julien Sansonnens après "Jours adverses". Après avoir exploré le destin de personnes ordinaires, c'est au monde des médias et de la politique en Suisse romande qu'il s'intéresse, dans un roman de genre policier.
Lenteur en effet dès le premier chapitre, qui relate la séquestration et la terrible détention d'une jeune femme, victime de sévices sexuels insoutenables dans le secret d'une chambre hostile. Un choix habile de la part de l'écrivain, qui donne au lecteur l'impression d'être à la place de la femme, qui n'a qu'une hâte: que ça finisse - et qu'une impression: c'est que justement, ça ne finit jamais.
Et puis, l'auteur prend le temps de mettre les choses en place. De ce glaçant premier chapitre, on passe à la description d'Alexis Roch, journaliste de télévision populaire désireux de se lancer en politique. Propre sur lui, c'est un bonhomme charismatique, très à l'aise financièrement. Celui-ci va accompagner le lecteur durant tout le roman. Puis il sera question d'un patelin en France, et d'un homme qui y vit de manière apparemment sereine. Le lien entre ces trois situations n'est pas évident, laissant au lecteur l'impression initiale d'un récit qui erre sans but immédiatement clair. Patience...
Le parcours journalistique et politique d'Alexis Roch permet de découvrir un monde où les jalousies sont tenaces et où tous les coups sont permis. Avec Marco Camino, l'écrivain revisite le personnage de l'ami du héros... un ami plein de ressources mais peu recommandable. Le lecteur appréciera ce guide ambigu. Alexis Roch va-t-il accéder au gouvernement cantonal malgré l'adversité? Mais son pire adversaire n'est-il pas lui-même?
Ancré dans l'actualité (il y est fait allusion aux attentats de Charlie Hebdo), "Les ordres de grandeur" emprunte plusieurs éléments aux microcosmes journalistique et politique romands. Derrière les traits d'Alexis Roch, par exemple, on devinera les traits d'un Darius Rochebin et/ou d'un Fathi Derder. Pareil pour les péripéties: on songe par exemple à l'"affaire Resende" en parcourant l'épisode des images à caractère pédophile retrouvées sur l'ordinateur d'Alexis Roch.
Certaines scènes paraissent sous-exploitées, par exemple celle de l'agression sexuelle dans un salon de massage, ou celle des invectives racistes dans un restaurant, qui n'ont pas de suite, et c'est un peu dommage: elles paraissent plus illustratives qu'autre chose, alors qu'elles ne sont pas anodines. A cela près, "Les ordres de grandeur" promène un regard précis sur un univers où chacun devrait se méfier de chacun, et où les rapports de force sont parfois déjà présents depuis le temps des études, un temps qui a marqué des personnages comme ce jeune homme qui a fait sa vie dans le sud de la France en pensant pouvoir oublier des temps tragiques. S'il use parfois de paragraphes longs qui pèsent un peu sur le rythme, l'auteur sait aussi se montrer rapide quand il faut, faisant usage d'une écriture franche, pour ainsi dire virile, parfaitement en phase avec les bonshommes qu'il se plaît à mettre à nu.
Julien Sansonnens, Les ordres de grandeur, Vevey, L'Aire, 2016.