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Louis Bonard? C'est un jeune auteur suisse. Son écriture s'avère cependant extrêmement mûre, et prometteuse d'ouvrages exigeants pour un lectorat sans concession, amateur de lettres poétiques. Son premier livre, "Les Immortelles", a paru au printemps dernier aux nouvelles éditions de la Marquise. Il revisite à sa manière, en cinq séquences courtes et bien différenciées, des mythes immémoriaux qui touchent au religieux païen et chrétien et mettent en présence des figures féminines.
Tout commence avec Sainte Agathe, martyre à Catane, aux prises avec les adorateurs d'Isis. Premier trouble: l'auteur joue de l'homonymie entre mère et mer, personnifiant pour ainsi dire cette dernière. Cette nouvelle se décline en séquences qui sont autant d'extases, suggérant que la sainte chrétienne trouve dans les supplices qu'elle subit, de la part du monarque qu'elle refuse d'épouser, une jouissance certaine - idée classique de la douleur extrême, éventuellement recherchée mais ce n'est pas vraiment le cas ici, qui permet d'accéder à quelque chose de mieux. L'extase trouve une forme littéraire dans ce texte, parfois statique, mais qui devient soudain rapide et impétueuse dès lors que la ponctuation s'efface.
Jouant avec les formes d'écriture, l'auteur crée pour Orphée un univers formel tout à fait différent, parfaitement en phase avec son personnage de poète mythique. Le chant d'Orphée se décline en vers libres obsédés par le souvenir d'une Eurydice qui ne reviendra jamais des Enfers. Ce chant est notamment marqué par des répétitions et anaphores qui, de manière évidente, créent une musique. Et là, bien sûr, l'immortelle est justement celle qui est morte. Ecrite à la première personne, cette séquence approche au plus près la douleur de la perte de l'être aimé... pour une fatale impatience.
Le lecteur se retrouve également confronté au mythe de Narcisse, que l'auteur met en scène avec un souci discret mais indéniable des sonorités, concrétisées en allitérations bien vues et en jeux d'échos avec la nymphe Echo. Ce Narcisse, né de l'écoute de "Miroirs" de Maurice Ravel, l'auteur le montre comme un personnage qui se cherche sur la base d'un certain passé, avant de trouver finalement ce qui l'attire. On relèvera d'ailleurs que la séquence "Narcisse", que l'auteur a écrite alors qu'il était au lycée, a été primée, ce qui est mérité au vu du travail littéraire et formel approfondi. "Hermaphrodite" s'avère quant à lui un texte d'une grande sensualité, qui précède l'évocation du principe maternel divin de Gaïa, ultime séquence du recueil.
On aurait pu croire ces mythes antiques rebattus; l'écrivain les revisite avec force, imposant un style poétique exigeant, reflet d'un remarquable travail poétique, et sans cesse renouvelé avec justesse. D'une naïveté brute, très directes, les illustrations de Léa Meier soulignent la force du propos poétique d'un auteur qui mérite l'attention de son lectorat.
Louis Bonard, Les Immortelles, Lausanne, Editions de la Marquise, 2016, postface de Delphine Abrecht, illustrations de Léa Meier.