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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Ivan Bounine, tous les feux du romantisme et du désespoir

Bounine MitiaLu par Denis, La Plume et la Page.

 

Amours malheureuses, personnages mal assortis: avec "L'Amour de Mitia", l'écrivain russe Ivan Bounine, prix Nobel de littérature en 1933, explore à fond le sentiment amoureux, en mettant en scène un personnage jaloux, Mitia, dans diverses situations, en ville comme à la campagne. Introspection il y aura donc, certes, mais aussi une superbe observation de ce qui entoure les personnages de ce court roman d'inspiration romantique.

 

Situations? Commençons par cela. Il est facile de constater que l'auteur a un souci constant du temps qui passe, et que celui-ci s'exprime par la description des saisons. Il ne les nomme pas, ce n'est pas nécessaire; simplement en montrant des situations typiques, ayant trait à la nature, l'auteur indique que l'on va de l'hiver à l'été. En écho à ce crescendo naturel, monte le désir de Mitia, et tourbillonnent ses sentiments. Et si tout commence en ville, à Moscou, tout continue à la campagne, où la nature règne.

 

Mitia? Difficile de s'attacher totalement à ce personnage, et pourtant difficile de ne pas s'y reconnaître peu ou prou. Mitia est un amoureux transi, obnubilé par Katia - deux prénoms qui riment, qu'on voudrait associer, mais ce serait trop facile. C'est avec les mots que l'auteur décrit le travers le plus frappant de Mitia, sa jalousie: le début du roman prend la forme d'une explication de texte, voire d'un art poétique, décodant avec une cruelle finesse ce qu'il peut y avoir derrière les mots d'une jolie fille.

 

Reste que Mitia a quand même l'air d'un bel empoté. Incapable de prendre l'initiative (si ce n'est pour prendre ses distances, sans la plaquer tout à fait), il s'accroche à une Katia qui se cherche et dont les sentiments semblent quand même incertains, et alors que rien n'est promis, il fait de la moindre incartade un cas de conscience impossible. Cela, au risque de tout perdre.

 

Il n'est pas évident non plus de s'attacher aux personnages féminins qui dominent "L'Amour de Mitia". On a dit le caractère difficile à cerner, complexe, pour ne pas dire double, de Katia; avec elle, Mitia s'attaque à une partition trop difficile, trop virtuose pour lui. L'auteur met entre les pattes du jeune homme une autre figure, Alionka, campagnarde vénale et pragmatique, qui représente l'extrême inverse. C'est avec elle qu'il aura sa première expérience sexuelle, mais l'auteur fait l'impasse sur toute description. Une telle ellipse a un sens: elle suggère que pour Alionka, c'est comme s'il ne s'était rien passé. Et pour Mitia également, coucher avec Alionka ne vaut rien. Pour le confirmer, à l'attention de ceux qui n'auraient pas compris, les premiers mots d'Alionka après l'acte résonnent de terrible manière: "[...] Paraît que le curé y vend des petits cochons pour pas cher. C'est vrai?".

 

Le romantisme s'exprime donc à plus d'un titre, dans l'expression de la nature comme dans celle de sentiments exacerbés, exaltés d'une manière morbide. Commençant par une jalousie de tous les instants, celle-ci va jusqu'à la tentation de la mort, présentée comme un soulagement face à ce qui s'annonce comme un néant sentimental. Par rapport au grand roman romantique traditionnel, cependant, l'auteur va plus loin: il donne avec "L'Amour de Mitia" un roman court, une belle oeuvre concentrée autour d'un petit nombre de personnages, écrit dans une langue dense est efficace où aucun mot n'est de trop. Et où le désespoir finit par tout submerger...

 

Ivan Bounine, L'Amour de Mitia, Paris, Gallimard/L'Imaginaire, 2004, traduction du russe par Anne Coldefy-Faucard.

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