Défi Premier roman.
Il y a quelque chose d'Erskine Caldwell dans "Canicule", premier roman de l'Américain Donald Windham. Ne serait-ce que dans les personnages que l'écrivain choisit de mettre en scène: de petits Blancs vivant quelque part au plus profond des Etats-Unis, dans une demi-misère interlope qui ouvre la porte à toutes sortes d'expédients plus ou moins légaux. Au coeur de l'action, se trouve le personnage de Blakie, adolescent farouche, habile à la guitare, au tempérament de leader.
Le titre anglais, "The Dog Star", renvoie à la connaissance que Blakie a du ciel, acquise auprès d'un ami nommé Whitey. Traduit en français, cela donne "Canicule". On garde cette image du chien - peut-être une vision dévalorisante de certains personnages, mais aussi étymologie de "canicule" - mais surtout, le traducteur éclaire ainsi le roman d'une manière certes différente, mais tout aussi pertinente: tout le roman se déroule durant un été caniculaire où le soleil entre partout.
Plutôt que d'insister lourdement, en le disant sans cesse, sur ce soleil aux rayons omniprésents, l'auteur choisit adroitement d'en montrer les effets sur la terre où se passe l'action: on va à la piscine découverte, on bronze, on transpire, on vit dehors, on a soif. Cela, tant que tout va... et il est intéressant de constater qu'après une ultime pirouette de Blackie, il se met à pleuvoir. Ce n'est pas un hasard: Blackie, élément clé de "Canicule", en est aussi le soleil autour duquel gravitent des personnages qu'on peut voir comme des planètes. Il est d'ailleurs question d'astronomie dans "Canicule", à plus d'une reprise.
L'écrivain crée un lien amical quasi indéfectible entre les personnages de Blackie et Whitey. Lien de complémentarité suggéré par deux noms qui évoquent le noir et le blanc, antagonistes mais aussi complémentaires. Whitey se suicide en début de roman, mais son âme survole "Canicule", un peu comme si elle éclairait le chemin d'un Blackie qui, sans cesse, se demande ce qu'aurait fait son défunt ami à sa place.
"Canicule" est aussi le roman d'un ado qui se cherche, à tous points de vue. On pense aux relations familiales, pesantes: l'auteur construit finement un jeu de relations tendues entre les frères et soeurs de Blackie, mais aussi avec sa mère. A cela, on ajoutera les enfants nés alors que la mère est encore jeune et les pères absents ou démissionnaires. Se dessine ainsi l'image d'une vie pauvre en perspectives. Cela, d'autant plus que Blackie peine à s'insérer professionnellement et préfère vivre d'expédients plus ou moins légaux: rapines, racket, jeu. Sensible, l'auteur parvient à rendre Blackie sympathique, grâce à une peinture sensible du personnage.
On peut enfin penser au thème des amours, moins nettes qu'il n'y paraît, surtout si l'on se souvient, comme le relève l'éditeur, que l'oeuvre de Donald Windham est "portée sur le thème de l'homosexualité". Certes, Blackie est le compagnon d'une fille rouée, Mabel, et les apparences sont sauves ainsi; mais cette relation amoureuse, tissée de désir sexuel, de tensions, de jalousie et d'un brin de mépris, ne saurait être satisfaisante. D'un autre côté, on devine sans peine le caractère irréparable de la perte de Whitey pour Blackie. Un peu comme si Whitey était, pour Blackie, l'amant qu'il n'a jamais pu avoir.
Au fil des pages de "Canicule", Blackie se cherche, cherche sa place dans la société, sans succès, allant de travail en expédient, violent à l'occasion, grattant sa guitare avec talent en d'autres circonstances. L'auteur offre un roman au rythme équilibré, où les dialogues et la peinture de l'action et des lieux alternent de manière harmonieuse. Enfin, "Canicule" est aussi la description d'un petit monde populaire qui s'efforce de survivre malgré l'adversité.
Donald Windham, Canicule, Paris, Gallimard/La Découverte, 2008, traduction d'Elisabeht Van Rysselberghe.
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