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Lu par Francis Richard, Ivana, Marie-Sophie Péclard.
Il paraît qu'il existe des gens qui aspirent à vivre comme des chiens. Gageons que le syndrome de Balthasar, inventé par l'écrivain Olivier Chapuis, président de l'Association vaudoise des écrivains, leur irait comme un gant! Cela dit, le personnage principal de "Nage libre" n'est pas de ceux-là: jeune homme tout à fait ordinaire, voilà qu'on lui diagnostique une maladie improbable qui le fait devenir un animal, un chien en l'occurrence. Ce qui ne lui plaît guère...
Deuxième roman de l'écrivain après le réussi "Le Parc", "Nage libre" interroge la frontière entre animalité et humanité, voire la notion d'identité. Et aussi, c'est évident, il approche la question des maladies orphelines, trop rares pour être solidement définies. Que le lecteur se rassure: l'auteur a le chic, et c'est sa force, de faire passer ces thématiques graves avec un bel humour.
Le syndrome de Balthasar est-il réel? Une recherche sur Google permettra de répondre aisément à cette question. Mais pour donner une illusion de réalité à son récit, l'auteur revient à un procédé que n'auraient pas reniés les romanciers du XVIIIe siècle: son livre prétend transcrire le journal d'un malade, retrouvé dans le cadre d'une piscine découverte qu'on imagine au bord du Léman. Journal présenté comme véridique, suffisamment sérieux pour intéresser la police. Bel argument d'autorité!
Et ce syndrome de Balthasar? L'auteur intrigue son lectorat en mettant en scène, dès le début, la scène étonnante d'un personnage, le narrateur, qui lape le lait répandu d'une bouteille cassée, dans un supermarché. Etonnamment, autour de lui, peu de monde s'en étonne. L'auteur présente ce syndrome comme une évolution intérieure de l'homme vers l'animal, le patient conservant son enveloppe humaine. On peut imaginer que certains vont se laisser aller sans même s'en rendre compte à leurs instincts animaux, à l'instar de ce personnage, également atteint, qui meurt d'une chute parce qu'il croyait pouvoir voler comme un cygne. Chez le personnage mis en scène par l'écrivain, cependant, l'humain entend bien dominer. Il en découle une manière de vivre très planifiée: le narrateur s'installe à la piscine, écrit un journal et décide de se suicider après trente jours de maladie, avant que l'animalité ne prenne irrémédiablement pas sur l'humanité. Le syndrome s'avère épisodique, et s'exprime par crises. Du coup, l'auteur n'épargne pas au lecteurs certains comportements attendus, comme le pipi contre l'arbre, patte levée...
La piscine est un lieu privilégié d'observation, et l'auteur se délecte de la mise en scène des corps nus, des personnages qui se laissent enfermer dans la piscine pour des pique-nique et des bains de minuit interlopes. Désireux de paternité, par ailleurs, le narrateur s'avère piètre et attendrissant dragueur. Ce qui ne l'empêche pas de développer avec justesse une relation originale, rocailleuse, avec une autre habituée de la piscine. Qui n'est pas une beauté classique, c'est le moins qu'on puisse dire: les fantasmes, ça va un moment.
Derrière le recul et l'ironie, derrière les dialogues un brin décalés qui font sourire, l'écrivain vaudois s'avère réfléchi, profond même face à des thèmes graves. C'est avec justesse qu'il met en scène un personnage atteint d'un mal incurable et méconnu (on ignore même si c'est contagieux) et sa lutte, nécessairement personnelle. La forme du journal, prétendu authentique, et la rédaction à la première personne sont des procédés qui suscitent l'empathie du lecteur. Un lecteur qui va immanquablement s'interroger, au fil des pages, sur sa propre part d'animalité.
Olivier Chapuis, Nage libre, Genève, Encre fraîche, 2016.