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Lu par Francis Richard.
Défi Premier roman.
Un cadavre dans l'environnement feutré d'une banque privée genevoise: quoi de plus scandaleux si ça se sait? Tel est le point de départ que la romancière belge Sandrine Warêgne donne à son premier roman "Le banquier du quai du Mont-Blanc". Le prologue installe un choc, naissant du contraste entre un environnement bancaire sécurisé et la mort qui s'immisce, soudain, probablement criminelle. Tout part de là.
Titulaire d'une solide formation en économie, la romancière excelle à dépeindre ce qui se passe dans une banque, en particulier les flux et produits financiers et l'ambiance de lieux où l'on brasse des millions, voire des milliards. Cela, quitte à faire usage d'un soupçon de pédagogie ou à recourir à des explications entre parenthèses. Surtout, "Le banquier du quai du Mont-Blanc" commence à l'heure où éclate la crise des subprimes; dès lors, ce roman tient compte des efforts des banques pour rassurer leurs clients, quitte à masquer le pire. On l'a compris: entre la crise et le client défunt, la tension est palpable dans l'établissement bancaire où l'auteure situe son action.
Pas de roman policier sans que quelqu'un ne mène l'enquête! L'auteure dessine un policier un brin atypique, Patrick Camino. Atypique dans le sens où il paraît un peu terne, malgré un parcours de vie sinueux, et semble surtout peu efficace malgré ses efforts de réflexion - qui finiront cependant par lui donner raison, sur la base d'un retournement de situation des plus habiles préparé par un personnage féminin. L'auteure donne à Patrick Camino une touche humaine en évoquant son histoire et en faisant un coeur esseulé qui, malgré une enquête qu'on imagine prenante, s'efforce de trouver son âme soeur. Ce souci d'humanité est également présent dans la constructions d'autres personnages, notamment autour de Serguei Levitov, la victime.
"Le banquier du quai du Mont-Blanc" est porté par un style fluide, facile à aborder, et se dévore. Il ose même l'helvétisme! Le lecteur exigeant aurait apprécié que soient gommées quelques scories, comme des répétitions çà et là, ou de petites contradictions: "... Michael Lederer était déjà tranquillement installé devant un verre d'eau. Il semblait énervé..." (p. 185): Lederer est-il ici tranquille ou énervé?
Ce personnage fait d'ailleurs partie de ces seconds rôles que l'auteure utilise pour montrer les petites irrégularités vécues au quotidien dans la banque privée à la genevoise. Tel personnage va surfer sur Internet au bureau tandis que les autres travaillent à sa place, tel autre va utiliser une partie des fortunes sous gestion pour financer sa consommation de drogue; certains se montrent fort peu soucieux de la discrétion qui devrait être de mise dans le métier. Cela, sans oublier les ambitions, qui pourraient avoir servi de mobile au meurtre qui ouvre ce roman.
Comme c'est sans doute souvent le cas dans les enquêtes policières, l'issue du premier roman de Sandrine Warêgne privilégie une issue terne mais réaliste par rapport à la solution romanesque et controuvée qui s'échafaude dans l'esprit de l'inspecteur Patrick Camino. L'écrivaine offre ici un roman rapide qui excelle à montrer l'ambiance et les coulisses pas forcément glamour des banques privées genevoises de tradition. Des banques qui apparaissent dès lors comme des lieux de travail fort ordinaires pour ceux qui y oeuvrent, malgré le poids des responsabilités et des enjeux.
Sandrine Warêgne, Le banquier du quai du Mont-Blanc, Sainte-Croix, Mon Village, 2015.