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Après Mykonos hors saison, l'écrivain et homme de radio Richard Gaitet revient avec un beau voyage, encore plus agité que le tour des les îles grecques désertées. "L'Aimant" est un beau livre, habillé d'une couverture cartonnée qui n'est pas sans rappeler les fameuses éditions Hetzel de Jules Verne et servi par une typographie qui a de quoi surprendre. La lecture, enfin, ne déçoit pas: c'est un brillant hommage à la littérature d'aventures, imprégné du récit des aventures d'Arthur Gordon Pym, relatées en leur temps par Edgar Allan Poe. Du mystère, de l'action, de l'insolite, et même du sexe: voilà de quoi séduire le lecteur contemporain!
Mêlant le vrai et le faux, l'auteur se fonde sur quelques aspects non élucidés des aventures d'Arthur Gordon Pym, et cherche à les éclairer à sa manière. Tout commence tranquillement, certes, avec un Belge de vingt ans, Gabriel Chanteloup, qui s'embarque comme mousse à bord du Sirius. La narration annonce la couleur: le ton est joueur, familier ou canaille, annonçant d'emblée un roman éclairé par un gros, gros grain de folie. On pourrait croire à un joli récit de voyage s'il n'y avait quelques aspects étranges pour le troubler. En particulier la mystérieuse disparition des pièces de monnaie du monde entier - sauf des Açores, allez savoir pourquoi... Toutes ces pièces envolées ont un côté pile ou face, tout comme "L'Aimant" se compose en deux parties, l'une lumineuse, l'autre sombre. Au lecteur de juger, toutefois, tant il est vrai que chaque partie a ses zones d'ombre et de lumière.
Le lecteur est agréablement frappé par une constante: ses personnages adorent se raconter des histoires. L'auteur ouvre ainsi autant de fenêtres vers un univers à tiroirs qui démultiplie la profondeur de son roman. Souvent, ces histoires sont insolites, voire incroyables; mais plus d'une fois, elles sont dûment sourcées et, si bizarres qu'elles paraissent, elles ont un fond de vérité. Il n'est qu'à penser à ces amateurs de karaoké philippins qui, un brin extrémistes, tuent ceux qui osent massacrer "My Way" de Frank Sinatra lorsqu'ils prennent le micro. Et puis, gageons que l'écrivain a mis un peu de lui-même dans Gabriel Chanteloup qui, face au micro de la radio du bord du navire, se trouve astreint à parler sans cesse, à raconter des légendes hénaurmes pour ne pas laisser le silence s'installer sur les ondes.
Sexe? Voilà un élément devenu bien présent dans les romans d'aventures d'aujourd'hui. L'auteur dose admirablement cet aspect, en mettant en scène une figure féminine de professeure d'université nymphomane, Alizea, qui apparaît de façon épisodique. L'auteur lui place un tatouage "au sud de son corps", annonciateur du lieu où "L'Aimant" va trouver son dénouement: l'Antarctique. Femme chaude pour dénouement glacial... mais la jonction finira par se faire, et gageons qu'elle ne sera pas tiède! Alizea est une figure féminine forte du roman, de même que l'est, à sa manière, la mère de Gabriel - qui, comme toutes les bonnes mères du monde, est capable d'aller littéralement au bout du monde pour retrouver son fils. La mère contre la putain? Il est permis de penser à cette opposition classique, qui tiraille Gabriel Chanteloup entre les deux figures féminines antagonistes qui marquent sa jeune vie.
Et le titre? L'auteur a l'audace de mettre en scène un "sud magnétique" capable d'affoler les boussoles. Il le dessine peu à peu, par allusions mystérieuses, au gré d'une navigation hauturière où tout ne se passe pas comme prévu. L'auteur se plaît d'ailleurs à reconstituer certaines légendes liées à la haute mer, ainsi que des rituels, tel celui du passage de l'Equateur.
"L'Aimant" est donc un roman d'aventures amusant, dynamique et brindezingue, qui va crescendo et dont le terrain de jeu est le monde entier. Il est porté par une écriture vivace qui donne au lecteur l'impression délicieuse d'avoir en face de lui un copain un brin mythomane qui lui raconte des histoires, un verre d'alcool à la main. Et il constitue aussi un hommage épatant aux romanciers d'aventures d'autrefois. Jules Verne et Edgar Allan Poe sont les premiers d'entre eux; mais l'auteur sait étendre les références culturelles qu'il cite, allant au-delà de la littérature et laissant à l'auteur le soin de deviner, page après page, à qui il fait allusion.
Richard Gaitet, L'Aimant, Paris, Intervalles, 2016. Ouvrage enrichi de superbes illustrations de Riff Reb's.