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Qu'un I vous manque et tout s'emballe: la presse n'a pas manqué de relever que sur une plaque commémorative, le nom de Georges Wolinski, décédé dans les circonstances tragiques que l'on sait, s'est vu affublé d'un Y mal à propos. Haro sur le marbrier, a-t-on décrété!
Eléo de Vulpillières, journaliste au Figaro, dont j'apprécie la plume, décrète sur Twitter: "Les noms russes ou polonais sont traditionnellement transcrits en français -ki et en anglais -ky (Tchaïkovski/Tchaikovsky)". Les chevaux de Przewalski semblent accourir pour lui donner raison, mais Bronsky, personnage des bandes dessinées d'Edika, la contredit. Alors, vrai, faux? La tradition est-elle connue, respectée? On aimerait que ce soit aussi simple. Mais l'usage, c'est-à-dire le réel, se montre plus nuancé...
En lisant le tweet d'Eléo de Vulpillières, le premier contre-exemple qui m'est venu est celui de Kandinsky. On admettra qu'une vie passée en grande partie dans un domaine germanique ait suffi à imposer une transcription avec un Y à la fin, dûment attestée par les dictionnaires usuels français. Je m'en souviens pour avoir trébuché là-dessus dans le cadre d'un championnat d'orthographe... Germanité aussi lorsque l'on parle de l'homme de médias suisse alémanique Roger Schawinsky, certes moins connu hors de l'Helvétie, mais que personne n'écrira avec un I à la fin.
Et hier soir, alors que je claviotais sur les orgues de Morlon, voilà que je m'aperçois que tel compositeur russe se voit affublé d'un Y: Bortniansky, tel qu'écrit par l'arrangeur Louis Raffy. Le cahier où la pièce musicale se trouve n'est certes pas tout neuf; gageons que la tradition n'est pas arrivée jusqu'à son créateur. Wikipédia, quant à elle, ne se mouille pas, met des I partout... mais c'est une autre histoire, et nous ne sommes pas mieux informés.
La piste des "-ski" va plus loin: il arrive que l'Y grec et le I séparent une génération. Ainsi, si les dictionnaires nomment le compositeur du "Sacre du Printemps" Igor Stravinski, Larousse admet Stravinsky aussi (mais pas le Petit Robert des noms propres!). Et il arrive aujourd'hui encore que l'on orthographie son nom à l'allemande, ce qui donne Strawinsky. Au premier rang des témoins d'une telle orthographe, il y a le peintre Théodore Strawinsky (1907-1989). Deux traditions s'entrechoquent même ici, avec un prénom écrit à la française. Or, Théodore Strawinsky est, vous l'aurez compris, le fils d'Igor Stravinski. Et c'est à Genève qu'une fondation honore sa mémoire! Ah, quand les générations bouleversent l'orthographe...
Il me paraît possible d'ajouter, pour finir, que de nombreux anonymes ou nouvelles célébrités portant un nom russe vont privilégier une transcription à l'anglaise lorsqu'il s'agira, entre autres, d'établir des papiers en Europe. Le Y pourrait donc s'imposer doucement au détriment du I au gré de l'immigration - et pourrait même devenir un marqueur générationnel. La question ne date pas d'hier: si l'on voulait retraduire aujourd'hui "Anna Karénine", écrirait-t-on de préférence Vronsky ou Vronski? Voire Wronsky, à l'instar de Sidonie Wronsky, pionnière du travail social?
Il convient donc de considérer la tradition d'un oeil critique, de se référer à toute source utile lorsqu'il s'agit de transcrire correctement, plutôt deux fois qu'une - et d'éviter de mettre, si j'ose ce jeu de mots, les deux pieds sur le même "-ski". En définitive, et pour en revenir à Georges Wolinski, la seule règle valable, c'est que transcription ou pas, qu'li soit français ou pas, estropier un nom de famille constitue toujours une sortie de piste malvenue, blessante pour les premiers intéressés.