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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Clélie Avit, un coma pour entrer en littérature

Avit JeLu pa Bouquinovore, Cajou, Caroline Doudet, Clarabel, Emi, Emilie, Evenusia, Holly, Leiloona, Les reines de la nuit, Livres de filles, Lilitth, Lizouzou, Malicia, Marie, Marie-Claire, Marion Poidevin, Micmélo, Mind Of An Arrow, Oihana, Pampoune, Scarlett,

Défi Premier roman.

 

Une femme qui n'est plus qu'oreilles... que c'est captivant! Ou inquiétant? Clélie Avit s'est lancé dans un beau défi littéraire pour son premier roman, "Je suis là". Depuis sa parution dans le courant 2015, celui-ci connaît un succès certain et a fait l'objet de plusieurs traductions. Le titre rappelle les romans de Marc Lévy, et l'idée aussi: un homme tombe amoureux d'une femme plongée dans le coma. Une paternité assumée; mais l'auteure va bien plus loin que l'écrivain de "Et si c'était vrai...". Sans compter qu'en écrivant "Je suis là" sur la couverture de son premier roman, Clélie Avit s'approprie ces mots et montre qu'elle est bien déterminée à se forger sa place dans le monde des lettres.

 

Les oreilles d'Elsa

"Je suis là" est un roman à deux voix: celle d'Elsa et celle de Thibault. Celle d'Elsa est la moins évidente à construire, et l'auteure réussit plutôt bien à faire parler cette fille dans le coma, qui ne peut qu'entendre et comprendre les bruits autour d'elle. Souvent, elle imagine, ce que l'auteure rappelle souvent - quitte à jouer d'ellipses pour ne pas alourdir le propos plus que de raison.

 

Le lecteur découvre aussi, au fil des pages, tout ce que l'on peut faire lorsqu'on n'a plus qu'un seul sens pour aborder le monde: ce sens devient super-aigu et la moindre information ainsi reçue est enregistrée et exploitée. Et, surtout vers la fin, l'auteure installe une Elsa déterminée à lutter pour sortir de son coma, faisant des "exercices" mentaux pour progresser ("Je veux tourner la tête et ouvrir les yeux"), et redevenir consciente.

 

Ici, l'écriture, propre et simple, renvoie l'image d'une femme qui a la tête sur les épaules. Indispensable quand on est alpiniste... Le lecteur croit aussi à la forme de coma dans lequel Elsa est plongé, plus en tout cas que les médecins, qui paraissent fort désinvoltes.

 

Le coeur de Thibault

L'auteure donne à Thibault une voix de mec à laquelle on croit volontiers, sûre d'elle et bravache, pour ne pas dire macho par moments. Là encore, l'écriture, parfois canaille, colle au bonhomme.

 

Mais cela cache des failles. Les contraintes littéraires ne sont pas les mêmes ici: il s'agit de montrer un personnage complexe, un jeune adulte qui, derrière sa carapace, se montre tendre et n'a qu'une envie: se poser et fonder une famille. Thibault a un coeur pour la planète (il travaille dans l'écologie, élément peu exploité) et un autre pour les enfants. Il envie la famille de sa filleule Clara, que l'auteure présente comme un exemple de famille un peu trop parfait pour être crédible: un père passionné par sa paternité, une mère jolie et qui joue son rôle de mère, une fille adorable. Cela donne à "Je suis là" la couleur rose d'une "feel-good novel".

 

Cela dit, l'auteure ne va pas lâcher si facilement Thibault: c'est avec sa propre famille qu'il va devoir régler quelques comptes. L'auteure installe ici un dispositif complexe et tendu en partant de l'idée que Thibault ne se sent plus aucun lien avec son frère, hospitalisé après avoir tué deux adolescentes alors qu'il conduisait en état d'ivresse. Les conversations pas forcément évidentes qui en résultent sont recréées avec justesse, même si la famille de Thibault ne parvient pas, fondamentalement, à s'extraire d'une présence de second plan.

 

Une comédie romantique à l'américaine

"Tout le monde pensait que c'était impossible. Un imbécile est venu qui ne le savait pas, et qui l'a fait.": devenue un cliché, cette phrase de Marcel Pagnol est à l'origine du roman de Clélie Avit. Elle pourrait être une définition de la comédie romantique: rapprocher deux êtres entre lesquels tout rapprochement paraît impossible.

 

L'auteure utilise toutes les ficelles du genre. On se retrouve dès lors en présence d'un ami indéfectible, celui qui va soutenir Thibault et lui dire de faire attention - c'est Julien, homme accompli puisqu'il est mari et père comblé. Une autorité morale! Oscillant entre l'élan de l'amour et les gardes-fous que Julien indique, tenu par ailleurs par les conventions sociales, Thibault va aller jusqu'à douter, à se demander si ça vaut la peine. L'auteure va cependant lui confier le rôle de l'imbécile pagnolien... un imbécile qui va jusqu'au bout. Et en resserrant les échanges entre les deux voix d'Elsa et Thibault dans l'ultime chapitre, l'auteure suggère leur rapprochement définitif. Cela, tout en laissant une fin ouverte: certes, on se serait attendu à un "je t'aime" péremptoire, mais cela eût été trop facile... l'ultime échange de répliques le vaut bien, mais s'avère nettement plus fin.

 

Certes, "Je suis là" recèle quelques fausses pistes cocasses ou pathétiques (la fille intéressée qui veut s'installer près de Thibault au bar, Cindy l'ex-copine de Thibault qui veut remettre le couvert) dont la place dans le roman est discutable - si ce n'est en vue de donner un supplément d'épaisseur à Thibault, un jeune homme qui a les deux pieds dans le monde réel. Peu importe: d'une manière romanesque, suggérant avec un optimisme qui ne doute de rien que l'amour vrai vainc les obstacles les plus infranchissables, l'auteure réussit un premier roman crédible, servi par une écriture personnelle et décontractée qui suffit à bien installer chacun des personnages et à leur donner vie. Et justement, que ces personnages prennent vie, c'est ce qu'on leur demande...!

 

Clélie Avit, Je suis là, Paris, J.-C. Lattès, 2015.

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L
J'ai tout de même été très gênée par le traitement du sujet du coma...
D
J'ai l'impression que c'est un parti pris: ne pas aller trop loin dans les aspects graves, sans pour autant les occulter...