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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Chroniques surréalistes de Z l'étonnante

Urech OrdonnanceLu par Antonin Moeri.

Le site de l'auteure.

 

Un ébéniste arrive dans une ville afin d'y vivre de son travail. Il y découvre un mode d'existence pour le moins singulier. Ses allures surréalistes cachent des vérités qui entrent en résonance avec une réalité que nous connaissons bien. "L'ordonnance respectueuse du vide" est le dernier roman de Marie-Jeanne Urech. L'écrivaine suisse invite une fois de plus ses lecteurs à se balader dans un univers bien cerné qui, sous des allures décalées, invite à réfléchir.

 

La ville de Z rappelle certaines localités suisses au statut fiscal attractif, opulentes à leur manière froidement financière. Il est permis, par exemple, de penser à Zoug, d'autant plus qu'il y a un lac, et que le nombre d'habitants concorde à peu près avec celui de la Z du roman. Les boîtes aux lettres deviennent par ailleurs un mystère récurrent de ce livre: qui les relève, qui reçoit du courrier? L'auteure donne ainsi une image concrète des "sociétés boîtes aux lettres", domiciliées là uniquement pour bénéficier d'une fiscalité clémente.

 

La figure de M. Island, riche promoteur immobilier et potentat, est omniprésente. Si les apparitions du personnage sont rares, les effets de ses actions sont omniprésents. L'auteure utilise des éléments simples pour montrer son caractère démagogue: alcool gratuit, du pain et des jeux (du cirque) à tous les étages. Il y a aussi les chantiers, omniprésents: les grues poussent mieux que les arbres à Z.

 

Et puis il y a une certaine méfiance face à l'autre. C'est que le menuisier, surnommé Modeste, fait figure d'immigré. Dès lors s'installe une relation ambivalente entre lui et les indigènes: certes, il bénéficie d'une certaine bienveillance globale de surface, mais certains de ses actes, inattendus, lui seront reprochés, à l'instar de l'utilisation des palissades de chantier pour fabriquer des meubles. Reste que Modeste s'intègre, puisqu'il finit par obtenir un nom local jusqu'à la caricature et par épouser Elytre. Serait-il, du coup, devenu "plus indigène que les indigènes"?

 

C'est que si le côté politique du roman paraît sérieux dans son fond, cette gravité est contrebalancée par les jeux amoureux de Modeste, d'abord avec la distributrice de bière et d'eau-de-vie, évoqués avec une pudeur parfaitement de mise, puis avec Elytre, la fille aux robes changeantes, transparente et muette jusqu'au chapitre I, étonnamment placé en fin de roman. Pour donner corps au rapprochement des êtres, l'auteure choisit de faire se rapprocher les lits séparés de Modeste et d'Elytre: lorsqu'ils se toucheront, Modeste fera sa demande en mariage. Ce côté "jeux d'enfants" donne à cette intrigue amoureuse une fraîcheur teintée d'agréable surprise.

 

Quelques trouvailles délicieuses ou surprenantes émaillent "L'ordonnance respectueuse du vide". Il y a par exemple la pléthore de meubles que Modeste fabrique, alors que les autochtones se contentent d'une commode qui leur sert de lit, de table et de lieu de rangement. Le lecteur familier de Marie-Jeanne Urech retrouvera par ailleurs avec plaisir Yapaklou et Zibeline, deux enfants qui tracent leur destin à travers les romans de l'auteure, qui s'offre le plaisir de rappeler le géant du distributeur de frites des "Valets de nuit".

 

Enfin, la description de quelques usages particuliers, autour par exemple des décès successifs des bonnes soeurs ou de la vie religieuse, finissent de convaincre le lecteur que l'auteure l'invite, avec un certain sourire pas tout à fait innocent, à visiter une autre planète. Une planète qui pourrait quand même bien se trouver en Suisse...

 

Marie-Jeanne Urech, L'ordonnance respectueuse du vide, Vevey, L'Aire, 2015.

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