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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Antoine Buéno, le style comme révélateur

Bueno Bonsai.Lu par Atasi, Mélopée, Mr K, Pativore, Tanuki.

 

"Parce que grandir est un combat quotidien", telle est la dédicace qu'Antoine Buéno a inscrite dans mon exemplaire de son roman "Le Maître Bonsaï", comme il l'a écrite pour d'autres. Dédicace répétée donc, mais astucieuse, puisqu'il est question de bonsaïs, arbres réputés petits, à la croissance strictement contrôlée. Mais aussi de deux personnages qui ont besoin d'évoluer, de grandir, chacun à sa manière, sans contrainte. Avec "Le Maître Bonsaï", Antoine Buéno, qui s'est déjà intéressé à de petites créatures (c'était les Schtroumpfs) dans "Le Triptyque de l'asphyxie" puis dans "Le Petit livre bleu", fait montre d'un beau talent de conteur.

 

Ce talent utilise un art simple et habile du style. Cela saisit le lecteur dès les premières phrases. Placées dans la bouche du maître bonsaï, elles sont courtes et ressassent ce dont il est question, donnant l'impression d'avancer lentement, de façon austère. Il suffit à l'auteur de donner ainsi la parole à son personnage pour que le lecteur découvre un homme isolé, peu habitué aux méandres et loopings de la conversation. Adepte des petits arbres, le maître bonsaï s'exprime en petites phrases. Et l'on veut croire que l'une ou l'autre de ces phrases recèle un brin de philosophie derrière tant de concision, voire d'austérité hypercontrôlée.

 

En face du vieux maître bonsaï, l'auteur place une jeunette un peu écervelée qui veut en savoir plus sur l'art du bonsaï. Il en retrace le caquetage bondissant, fait de phrases plus longues et plus familières, virevoltantes aussi. Si ce personnage peut énerver, sa voix constitue un contraste maximal, pour ne pas dire brutal: l'auteur construit entre ses deux personnages un duo qui détonne. L'irruption de la jeune femme a par ailleurs des allures de désacralisation de l'exigeant métier de maître bonsaï, ne serait-ce que par le surnom de "petit bonzi" qu'elle donne à l'homme.

 

On peut dès lors se demander ce que peuvent avoir à se dire une jeune fille évaporée et un vieil homme complètement absorbé par son art. Chacun, en tout cas, va apprendre l'un de l'autre, à partir d'une première rencontre suivie de beaucoup d'autres. La fille découvre une technique qu'elle se réapproprie; quand au maître bonsaï éponyme, il va être amené à renouer avec son passé, présenté au début du roman comme une mystérieuse tache aveugle. Parce que les arbres parlent, murmurent, racontent leur histoire, mais qu'il faut peut-être quelqu'un pour le rappeler de temps en temps...

 

L'auteur du "Maître bonsaï" use toutes les ressources d'un style absolument maîtrisé pour se mettre au service de la représentation de deux personnages que tout éloigne a priori, et que la vie rapproche pourtant. A côté, l'économie de moyens est remarquable: peu de lieux, peu d'accessoires, ce qui laisse toute sa force à un conte oriental inséré ainsi qu'au flash-back qui émerge en fin de roman. "Le Maître bonsaï" est un roman dépouillé et strict aux allures de conte, ordonné autour d'un sujet original pour donner à penser.

 

Antoine Buéno, Le Maître bonsaï, Paris, Albin Michel, 2014.

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