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Lu par Francis Richard.
Qu'il est mystérieux et curieux, l'univers mythologique installé par Pierre Yves Lador pour son dernier recueil de nouvelles, "Les Chevaux sauveurs"! Dix nouvelles sont réunies ici, reliés par l'action de chevaux condamnés, pour leur rédemption, à sauver un millier d'humains. Un mythe, dix légendes...
Ce n'est pas un ouvrage répétitif, comme on pourrait le craindre. Certes, les chevaux sauveurs jouent leur rôle dans chaque récit. Mais c'est peu de chose: l'auteur montre vite que l'essentiel est ailleurs. Le lecteur va donc se retrouver face à dix textes d'une grande inventivité narrative, qui jouent avec le très ordinaire, le terre-à-terre (un alpiniste a perdu sa banane, dans "La sacoche perdue") ou flirtent avec la philosophie et ses éthers - le banal allant du reste souvent de pair avec l'exceptionnel. Superbe est par exemple l'évocation de Lausanne, archétype du vide, dans "Lausanne ville évidante".
Cela ne serait rien encore si l'auteur n'était d'une inventivité verbale hors pair, qui fait de lui une voix bien identifiée, unique, dans le milieu des lettres romandes. "Les Chevaux sauveurs" se caractérise par une opulence verbale rare. Il y a d'abord la richesse du vocabulaire. Celle-ci est encore démultipliée par le jeu des échos et sonorités qui naît naturellement entre les mots, et que l'auteur prend un malin plaisir à renforcer, quitte à surprendre, à intriguer. Et tant qu'à faire, il va jusqu'à utiliser le lexique du terroir: les helvétismes, voire les vaudoisismes, sont présents et s'intègrent sans complexe dans le riche tissu du langage de l'auteur.
Les tours typiquement romands ont du reste tout à fait leur place dans un récit qui assume son ancrage local. Les mystérieux chevaux viennent du Pays d'Enhaut et plus d'un lieu romand, voire vaudois, est évoqué - comme si l'activité de ces chevaux sauveurs se limitait à un terroir, malgré la possibilité offerte d'aller plus loin (les trous dans la roche, qui débouchent sur quelques contrées lointaines: "L'Aéroport inutile" se joue à Ifriqiya, "J'ai épousé une spirochète" évoque l'îlot polynésien de Tikopia). Oscillant entre l'ici et l'ailleurs,, l'auteur n'hésite pas à évoquer les Alpes, avec ce qu'elles peuvent receler d'inquiétant ("Vêle de nuit bénévole", où tout se noue dans une télécabine en panne).
Signant avec "Les Chevaux sauveurs" un recueil dont chaque texte a des allures de conte moderne, Pierre Yves Lador ne renie nullement sa fringale de jouer avec les mots afin d'en épuiser le sens, le suc et les sonorités. On reconnaît sa plume dans certaines phrases longues, aux longues énumérations. Une fois de plus, l'écrivain vaudois cherche à embrasser l'univers en une poignée de mots. L'auteur ne recherche pas les voix de ses personnages (sont-ils l'auteur, d'ailleurs?), et les dialogues sont presque absents de ce livre, mais qu'importe! Cela donne une écriture dense, juteuse, qu'on prend le temps de savourer avec bonheur et de sucer jusqu'à en goûter la quintessence.
Pierre Yves Lador, Les Chevaux sauveurs, Vevey, Hélice Hélas, 2015. Illustrations d'Adrien Chevalley, postface d'Alexandre Grandjean.