Défis Rentrée littéraire et Thrillers et polars.
Ils s'y sont mis a deux, et le résultat est unique: "Duellistes" est un thriller à quatre mains, rédigé "sans concertation" à partir d'un point de départ convenu. Les auteurs stéphanois Chrystel Duchamp et Sébastien Bouchery s'y glissent chacun dans la peau d'un tueur professionnel chargé de viser une seule et même cible: un certain Daniel F. Poursot, présenté comme un politicien discret mais véreux. Autant dire que dans leur roman "Duellistes", le Trakker et Betty Monroe sont placés en concurrence directe. Le développement s'avère inattendu... et trépidant.
L'idée de départ est bonne. Dans "Duellistes", elle offre aux auteurs l'occasion de faire se confronter deux personnages et deux points de vue fort différents, en alternance. Dès lors, tout l'intérêt de ce thriller réside dans les interactions entre ces deux-là. Ils sont présentés dès les deux premiers chapitres, et le lecteur les "sent" et les adopte d'emblée: le Trakker est un professionnel froid et méthodique, qui ne vit que pour son métier, alors que Betty Monroe, personnage complexe et original - original parce que complexe, dirai-je - mène une double, voire une triple vie: employée dans un grand magasin le jour, épouse et mère de famille, elle se mue en tueuse la nuit.
A part un métier et un objectif communs, tout les sépare donc. Les auteurs vont s'amuser à les rapprocher, au fil de contacts discrets qui débouchent sur une venimeuse intrigue sentimentale qui prend sa source, et c'est important, dans un bar louche. Ces rapprochements permettent aux auteurs de creuser deux personnages confrontés à une situation nouvelle pour eux: si Betty Monroe est à deux pas de céder à l'infidélité et de compromettre une vie familiale sans histoire, le Trakker découvre, lui, qu'il a un coeur.
Mais foin de romance: nous sommes bien dans un thriller, et la cible n'est jamais perdue de vue. La violence est présente, et dans les pages qu'il écrit, Sébastien Bouchery se montre cruel, d'une manière jouissive. Et si la confrontation entre les personnages a bien lieu - Eros et Thanatos, l'amour et la mort, rôdent de concert - elle intervient aussi entre les auteurs, qui glissent volontiers quelques pièges à l'attention de leur comparse. En effet, l'écriture des chapitres s'est déroulée de façon successive, chaque auteur rédigeant sur la base d'une livraison en principe hebdomadaire.
L'écriture à quatre mains permet un enrichissement mutuel, né de regards divers sur les personnages et aussi sur les lieux. Cela se remarque aussi avec les descriptions successives du bar Braquo B. de Mille, chacun des auteurs prêtant son attention à des détails différents qui deviennent complémentaires.
Enfin, l'objectif nommé Daniel F. Poursot s'avère assez secondaire au fil des pages: serait-il un McGuffin? Les auteurs omettent en tout cas de dire ce que cet homme de pouvoir a de si terrible. Le fin mot de l'affaire survient en fin de roman, comme il se doit. Dans l'intervalle, les auteurs ne manquent pas de s'amuser à filer la métaphore du "pourceau", facilement induite par le patronyme du personnage.
Une telle démarche est-elle une première, comme le suggèrent les auteurs? Pas sûr - on pense par exemple aux "Meurtres exquis", collectif irlandais rédigé à la manière d'un cadavre exquis. Mais au fond, peu importe. En effet, Chrystel Duchamp et Sébastien Bouchery signent ensemble un thriller efficace et captivant dès les premières pages, rythmé qu plus est. Pour ne rien gâcher, il est baigné de plus d'une référence cinématographique - la patte de Sébastien Bouchery est là. Autant dire que le lecteur est accroché d'emblée! Et au fil des pages, on sent que l'émulation fonctionne... ce qui est tout bénéfice pour cet impeccable "Duellistes"!
Chrystel Duchamp et Sébastien Bouchery, Duellistes, Veauche, Eastern Edition, 2014. Avis aux bibliophiles: l'ouvrage a paru sous deux couvertures différentes.
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