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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Les tribulations d'un Christ dans le désert du Chili

hebergeur imageLu par Carnets du Chili, Jacqueline Mallette.

Défi Les anciens sont de sortie.

 

Il s'appelle Domingo Zárate Vega, mais tout le monde le connaît sous le nom de Christ d'Elqui. Sa carrière, il l'accomplit à la manière de Jésus-Christ, allant et venant tout le long du Chili. Dans "L'Art de la résurrection", l'écrivain chilien Hernán Rivera Letelier met en scène les tribulations de ce prédicateur extravagant qui se considère comme la réincarnation de Jésus-Christ. Il en résulte un ouvrage un peu fou, drôle par moments - mais de manière retenue et distante, volontiers ironique. Grâce au travail de l'éditeur Métailié et de la traductrice Bertille Hausberg, cet ouvrage, qui a obtenu en Espagne le prix Alfaguara 2010, est accessible au lectorat francophone depuis la rentrée littéraire d'automne 2012.

 

Des prédicateurs, l'Amérique du Sud en regorge apparemment, un peu comme les rives du Jourdain au temps de Jésus. Dès lors, l'auteur a beau jeu de créer un personnage de ce genre. Celui-ci se distingue par certains paradoxes: doté d'un magnétisme certain, il aime se présenter comme un bonhomme plutôt humble, refusant les cadeaux précieux. Sa morale n'est cependant pas dépourvue d'élasticité.

 

Le désert d'Atacama constitue un décor privilégié pour une histoire de Christ réincarné: cela rappelle immanquablement l'épisode de la tentation du Christ, retiré dans le désert selon les Evangiles. Avantage pour un écrivain: le désert est un lieu qui oblige à aller à l'essentiel. L'auteur de "L'Art de la résurrection" se concentre donc sur ses personnages et leurs interactions, dans un esprit picaresque qui n'exclut pas (il faut quand même respirer) les récits enchâssés.

 

Qui dit roman picaresque dit aussi péripéties, à partir d'un personnage un peu bon à rien donc bon à tout. Ici, le personnage principal, le Christ d'Elqui, parle beaucoup et avec aisance aux mineurs (il a toujours un aphorisme à la bouche, c'est bien trouvé de la part de l'auteur!), mais n'agit guère - et trouve toujours une manière valable d'excuser ses échecs en matière de miracles ou de résurrections: en gros, c'est la faute à Dieu. Ses miracles prêtent donc à rire - ce que l'on apprend dès le début, avec la complicité de quelques ivrognes et de disciples peu fidèles.

 

Plus largement, le Christ d'Elqui fonctionne comme un Christ contemporain à deux francs. Les connaisseurs reconnaîtront, travestis, certains épisodes bibliques tels que la multiplication des pains. L'auteur ose mettre en scène quelques moqueurs, que le Christ d'autrefois a dû connaître mais que la tradition a occultés. Enfin, on trouvera aussi une colline; l'auteur la recycle de manière saisissante, signalant que c'est sur une hauteur que Jésus-Christ a prononcé ses Béatitudes - et que c'est aussi sur une hauteur qu'il a été crucifié.

 

Face à lui, se trouve une réincarnation de Marie-Madeleine, Magalena Mercado. Son nom de famille dit tout, et l'auteur le souligne: c'est une prostituée. Mais elle a la foi du charbonnier, et fait avec un certain succès le grand écart entre la Sainte Vierge et le péché de la chair. Le grand écart n'a rien d'évident; l'auteur réussit cependant à créer un personnage paradoxal mais crédible, qui suscite l'empathie et, à l'intérieur du roman, génère quelques épisodes cocasses. Naturellement, le lecteur n'échappera pas à une vision revisitée des rituels d'ablution... malin, dans une région désertique où l'eau est rare!

 

En lisant ce roman croustillant qui est aussi le portrait d'un être profondément humain quoique christique, j'ai pensé à "Et jusqu'à la fin des temps..." de Vincent Baudry et à "Les maux du prophète" de Mark Levental. Ces deux auteurs ont mis en scène un personnage christique. Dans un registre délicatement humoristique, cocasse mais respectueux, Hernán Rivera Letelier apporte à son tour sa contribution, pertinente pour le coup, à une idée littéraire un brin iconoclaste.

 

Hernán Rivera Letelier, L'art de la résurrection, Paris, Métailié, 2012, traduction de Bertille Hausberg.

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A
Moi qui croyait que le Christ s'était arrêté à Eboli.....
D
Paraît-il; j'avoue ne pas avoir lu ce roman pourtant fameux!
Y
J'ai lu Malarosa du même auteur qui ne m'avait pas déplu sans pour autant me marquer, par contre je me souviens de la très belle couverture
D
Je retiens en tout cas le nom de cet auteur, que j'ai découvert par hasard; et aussi la référence que tu m'indiques. Merci pour le tuyau!